Priorité à la sécurité des élèves

Pires. Les conclusions du rapport d’enquête sur le traitement des inconduites sexuelles à l’école sont bien pires que ce à quoi on s’attendait. Encore pétris d’une certaine naïveté, nous n’imaginions pas que les agresseurs sexuels puissent être plus protégés que les élèves dans l’enceinte de l’école. Mais il semblerait que oui, comme le conclut ce rapport accablant, dont les constats brutaux défilent sur le thème de l’incurie du réseau de l’éducation. Il échoue à assurer la sécurité des enfants.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a raison d’être accablé par les conclusions de ce rapport. Les changements auxquels il doit s’attarder ne peuvent qu’être très ambitieux. Une série de révélations troublantes dans les médias au cours des derniers mois avait mis la table. Déjà, on s’interrogeait : un agresseur sexuel condamné par la justice pouvait-il papillonner d’une école à l’autre, être réembauché sans que son dossier d’assaillant le suive et alarme un futur employeur ? La réponse, aussi scandaleuse soit-elle, est positive. Les mailles du filet de l’école laissent passer des agresseurs d’enfants.

Le Rapport d’enquête de portée générale sur la gestion administrative des inconduites sexuelles et des comportements inadéquats conclut que les employeurs que sont les centres de services scolaires partagent très mal l’information sur les candidats ; que la Loi sur l’instruction publique, dont l’article 26 prévoit des leviers d’action, est sous-utilisée ; que l’encadrement, la formation et la prévention sont défaillants ; qu’« il n’y a pas de suivi systématique sur la vérification des antécédents judiciaires » ; que l’application des sanctions est parfois impossible. Dernier coup de salve : « Le rapport de force entre le plaignant et la personne incriminée est déséquilibré. » L’enfant ne règne pas au royaume de l’école.

Sur ordre du ministre Drainville, qui au printemps avait commandé ce rapport dans l’urgence, la Direction des enquêtes du MEQ a épluché 18 cas réels survenus dans des écoles — publiques et privées. Un enseignant ayant manifesté des comportements déviants dans une école peut être embauché ailleurs sans trop être embêté parce que la prise de références est fragmentaire, et l’ex-employeur affirme être très limité dans ce qu’il peut inscrire sur un certificat de travail, certains ayant confié sans détour craindre une poursuite en diffamation ou un grief syndical s’ils livraient trop d’informations sur le passé trouble d’un ex-employé. Au mieux espère-t-il que le futur employeur «lira entre les lignes » et décodera que l’absence de détails camoufle un problème, ce qui est pure aberration ! Cela est très grave, d’autant plus qu’on n’en est plus à discourir de manière préventive et théorique d’un risque pesant sur la santé physique et psychologique des élèves : les cas qui colorent le rapport d’enquête sont bien réels.

Comment corriger le tir ? Plusieurs des constats visent à nouveau l’immobilisme du système, devenu plus grand que nature. M. Drainville affirme vouloir s’attaquer à ce déficit d’efficacité avec son projet de loi 23, même s’il sera jugé sur les résultats plutôt que les intentions, que nombre de détracteurs jugent centralisatrices. L’un des problèmes auxquels le ministre doit s’attaquer urgemment concerne la confidentialité des dossiers d’employés, qui est au centre de ce déséquilibre entre l’agresseur et la victime. À ce sujet, les syndicats de personnel dans le réseau de l’éducation devront être prêts à revoir des clauses caduques qui nuisent à la protection des enfants. Au nom de la protection des membres, nul ne devrait pouvoir camoufler un passé de comportements déviants auprès d’enfants et cheminer d’un centre de services scolaire à un autre.

Les employés du secteur public sont en pleine négociation avec le Conseil du trésor. Espérons que les deux parties accepteront de réécrire des passages concernant par exemple les délais — trop courts — de maintien d’une faute au dossier d’un employé ou les clauses d’amnistie. Les critères de confidentialité ne peuvent pas empêcher la libre circulation d’information d’un employeur à un autre, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une clientèle vulnérable comme les enfants, qui commande des mesures particulières.

Le réseau de l’enseignement supérieur dispose de sa propre loi-cadre pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les cégeps et les universités. Si le ministre de l’Éducation doutait encore de la nécessité d’une telle loi pour le réseau primaire et secondaire, la preuve est maintenant établie de manière retentissante. En plus d’un changement de culture visant à replacer la sécurité des enfants au sommet des priorités, une telle loi doit permettre de resserrer les processus de contrôle au moment de l’embauche du personnel des écoles en plus de parfaire la prévention, la détection et la correction des crimes à caractère sexuel. Décidément, cette rentrée scolaire se joue sur fond de catastrophe. Perplexes, les parents en sont réduits à douter du rendement des écoles, pour la réussite et pour la sécurité de leurs enfants.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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