Les contestations des valeurs foncières repartent à la hausse à Montréal

Depuis 2014, le nombre de propriétaires contestant leur évaluation foncière a connu une baisse constante. Or, cette tendance s’est inversée cette année.
Photo: Jacques Nadeau archives Le Devoir Depuis 2014, le nombre de propriétaires contestant leur évaluation foncière a connu une baisse constante. Or, cette tendance s’est inversée cette année.

Après avoir connu une baisse continue dans les dernières années, le nombre de Montréalais qui contestent leur évaluation foncière est reparti à la hausse, des milliers de propriétaires espérant ainsi obtenir une diminution de leur charge fiscale, a appris Le Devoir. Du lot, on compte des organismes à but non lucratif forcés de refiler la facture à leurs locataires à faible revenu.

Aux trois ans, la Ville de Montréal adopte un nouveau rôle d’évaluation foncière qui détermine la valeur des propriétés résidentielles, commerciales et industrielles sur son territoire. Cette évaluation sert ensuite de base aux charges fiscales qui sont imposées aux propriétaires dans la métropole sur une base annuelle. Les propriétaires qui souhaitent contester leur évaluation foncière, dans l’espoir d’obtenir une diminution de leurs taxes foncières, avaient jusqu’au 30 avril cette année pour effectuer une demande de révision à la Ville, qui a quatre mois pour leur répondre, à partir du moment où cette requête est effectuée.

Depuis 2014, le nombre de propriétaires contestant leur évaluation foncière a connu une baisse constante. Ce sont ainsi 7668 contestations qui avaient été notées en 2014, contre 4575 trois ans plus tard et 3028 en 2020.

Or, cette tendance s’est inversée cette année, montrent des données fournies par la Ville de Montréal au Devoir. Ce sont ainsi 6065 demandes de révision de l’évaluation foncière d’une propriété qui ont été reçues cette année. Celles-ci représentent 1,2 % des immeubles de la métropole. Un pourcentage faible, mais tout de même deux fois plus élevé que lors du rôle précédent.

D’ailleurs, parmi les contestations reçues cette année, 4359 concernent des propriétés résidentielles, un nombre plus élevé qu’en 2020. Une situation qui survient au moment où l’inflation et les taux d’intérêt élevés ont durement affecté les finances de nombreux propriétaires dans les derniers mois. « Tous les Québécois et les Canadiens sont plus serrés, le portefeuille de tout le monde est impacté », relève le directeur des affaires publiques à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), Marc-André Plante. Ce dernier n’est donc pas surpris que les propriétaires aient été plus nombreux cette année à contester l’évaluation foncière de leur propriété.

« L’explosion du nombre de contestations n’a rien d’étonnant quand on sait que les citoyens montréalais ont écopé de la plus forte hausse de taxes en 12 ans », estime pour sa part le chef d’Ensemble Montréal, Aref Salem. Selon lui, cette augmentation des demandes de révision envoie « un message clair » à l’administration de la mairesse Valérie Plante : « Elle ne peut plus se permettre de piger encore et toujours plus dans le portefeuille des contribuables. »

La réalité du marché

Le dernier rôle d’évaluation foncière a fait bondir de 35,5 % la valeur foncière des immeubles du secteur résidentiel, le taux le plus élevé noté depuis 2007. La Ville a toutefois réduit le taux de taxation par 100 $ d’évaluation et étalé sur trois ans la hausse du rôle foncier, afin de réduire l’impact du marché immobilier bouillonnant sur la charge fiscale des propriétaires. Au bout du compte, le dernier budget de la Ville a tout de même entraîné une augmentation de l’impôt municipal des Montréalais de 4,1 % cette année, soit la hausse la plus importante depuis 2011.

De plus, le rôle d’évaluation foncière se base sur un état du marché 18 mois avant son entrée en vigueur, qui a toujours lieu un 1er janvier. Le rôle en vigueur représente donc un portrait de la valeur des propriétés en date du 1er juillet 2021, une date de référence qui a été critiquée dans les derniers mois par des associations de propriétaires puisque le marché immobilier était alors en pleine ébullition.

Or, malgré une baisse des ventes de propriétés notée l’an dernier, le prix médian des résidences unifamiliales et des copropriétés se trouve actuellement à un niveau comparable à celui qui était en vigueur en juillet 2021. Un constat qui fait dire au directeur du service de l’analyse du marché à l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec, Charles Brant, que le rôle d’évaluation foncière de la métropole est fidèle à la réalité du marché immobilier.

« Le rôle d’évaluation est une mesure qui n’est pas parfaite, mais il n’y en a pas nécessairement de meilleure non plus », constate ainsi Marc-André Plante, de la CORPIQ.

Les locataires écopent

L’augmentation des taxes foncières notée à Montréal n’affecte d’ailleurs pas que les propriétaires concernés, mais aussi de nombreux locataires. Comme le rappelle Marc-André Plante, l’« entièreté » de l’augmentation de la charge fiscale d’un propriétaire d’immeubles locatifs peut légalement être transférée à ses locataires au moment du renouvellement des baux. « Au final, c’est le locataire qui paie l’augmentation au rôle triennal » d’évaluation foncière, résume-t-il.

Dans ce contexte, des organismes à but non lucratif qui gèrent des logements communautaires se retrouvent à n’avoir d’autre option que d’augmenter les loyers de leurs locataires, dont la situation financière est pourtant précaire. L’avocat en droit du logement Manuel Johnson représente plusieurs coopératives d’habitation à Montréal qui contestent leur plus récente évaluation foncière dans l’espoir d’alléger leur fardeau financier et, par ricochet, celui de leurs locataires.

« Les OBNL que je représente, ce sont des organismes qui louent principalement à des chambreurs, donc à des locataires très vulnérables », indique M. Johnson en entrevue. Or, « comment est-ce qu’on peut maintenir les loyers bas et un bon état d’entretien si les impôts vont toujours à la hausse en raison de la spéculation qu’on vit actuellement à Montréal ? » demande l’avocat.

Martin Croteau, administrateur d’une coopérative d’habitation dans le quartier Milton-Parc, indique que les membres de cet organisme ont voté cette année pour une augmentation de 8 % des loyers imposés aux locataires des 30 appartements concernés. « C’est quand même une augmentation importante », relève M. Croteau, dont l’organisme conteste l’évaluation foncière de ses 14 bâtiments, en partie responsable de la hausse des loyers imposée à ses locataires.

Le cabinet de la mairesse Valérie Plante n’a pas voulu commenter.

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