Un monde en pleine recomposition

Le premier ministre indien, Narendra Modi, regardait le premier ministre Justin Trudeau alors qu’il entrait dans la salle pour participer à une réunion bilatérale lors du sommet du G20 à New Delhi, le 10 septembre dernier.
Sean Kilpatrick La Presse canadienne Le premier ministre indien, Narendra Modi, regardait le premier ministre Justin Trudeau alors qu’il entrait dans la salle pour participer à une réunion bilatérale lors du sommet du G20 à New Delhi, le 10 septembre dernier.

L’Assemblée générale des Nations unies s’ouvre le mardi 19 septembre au moment où le fossé se creuse entre l’Occident et les pays du Sud global à propos de la hiérarchie à établir entre les priorités auxquelles la communauté internationale doit accorder son attention.

Les médias et les experts feraient bien d’écouter les discours — tous les discours, et pas seulement ceux des Occidentaux. Ils vont rapidement constater que le monde se recompose autour de deux axes : les priorités du Nord (l’Ukraine, le combat « démocratie » contre « autoritarisme », le maintien de l’ordre mondial instauré en 1945) et celles du Sud (la dette, le développement, les menaces climatiques, la sécurité alimentaire, la réforme des institutions internationales).

Jamais cette dichotomie n’a été aussi frappante que lors de la tenue du G20 à New Delhi il y a quelques jours. Alors que le sommet de l’an dernier à Bali avait donné un large écho à la guerre en Ukraine, cette année, la présidence indienne a intentionnellement écarté ce sujet afin de laisser toute la place aux questions qui préoccupent le monde en développement. En clair, les pays du Sud global se sont emparés de l’ordre du jour, ce qui n’a pas manqué de froisser Justin Trudeau, qui aurait voulu faire adopter une résolution condamnant directement la Russie.

C’est que la voix des Occidentaux n’a plus la même portée qu’avant. Et surtout celle du Canada, au G20, justement. À Bali comme à New Delhi, le premier ministre a été regardé de haut, d’abord par le président Xi lors d’une courte et désagréable rencontre dans un couloir, puis par le premier ministre Modi lors d’une rencontre informelle de 10 minutes dans un coin du centre de conférence.

Bien entendu, l’Occident n’est pas sur le point d’être marginalisé. Les deux grandes puissances asiatiques peuvent snober le Canada, mais le bloc occidental ne peut être ignoré. Il reste le premier en matière de puissance. Il a une cohésion diplomatique, économique et militaire sans égale. Même les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), sur le point de passer de 5 à 11 membres, mettront du temps à le détrôner.

Pour autant, le discours véhiculé par les Occidentaux sur les affaires du monde n’arrive plus à convaincre. Ainsi, devant l’Assemblée générale mardi, Joe Biden ne manquera pas d’égratigner la Chine et ses ambitions mondiales et de revenir à la charge au sujet du combat entre démocraties et autocraties. Emmanuel Macron fera certainement de même au sujet de la démocratie en Afrique. Les deux leaders seront applaudis par leurs alliés, mais ignorés par les autres.

C’est que, dans ce monde en pleine recomposition, les pays du Sud global ont maintenant le choix de leurs alliances. Ils sont à ce titre de plus en plus attirés par le langage que tiennent la Chine et l’Inde. Que disent ces deux puissances ? Elles prennent le monde tel qu’il est. Elles ne jugent pas et sont prêtes à faire des affaires avec n’importe quel État, quel que soit son type de régime. Elles exigent le respect de la souveraineté des États. Elles ont leur vision de la démocratie et des droits de la personne. Elles travaillent à l’instauration d’un ordre mondial multipolaire dans lequel les États non occidentaux ont davantage leur mot à dire. Crédible ou pas, ce message se vend plutôt bien auprès des pays du Sud.

Le message des Occidentaux, lui, devient inaudible tant il masque ses propres arrière-pensées et contradictions. Dans la région Asie-Pacifique, les États-Unis tentent de tisser tout un réseau d’alliances dont le seul objectif n’est pas tant d’assurer la sécurité des États qui y participent que de renforcer leur hégémonie en encerclant la Chine dans le but de contenir son développement économique et militaire. Il n’y a pas d’autre explication au soudain regain d’intérêt de Washington envers la dizaine de micro-États du Pacifique Sud dont les dirigeants américains ignoraient jusqu’à l’existence il y a quelques mois.

Et comment convaincre le Sud global de l’importance de défendre les valeurs démocratiques lorsque Washington renforce ses liens avec les pires dictatures — Arabie saoudite et Vietnam ? Ou lorsque la France s’indigne brusquement au sujet du coup d’État au Niger, elle qui a fermé les yeux sur ceux de la Guinée, du Mali, du Burkina Faso, du Gabon, ou sur l’instauration d’une dynastie républicaine au Tchad ? Tout cela n’est pas sérieux et participe au discrédit du message occidental.

Un nouveau rapport de force est en train de s’installer entre le Nord et le Sud. Il exprime la réalité des ambitions et des limites des uns et des autres. Quoi qu’il arrive, une chose semble certaine : l’Occident ne peut plus se comporter selon les termes du siècle passé. Les assises qui structurent les relations internationales changent de façon trop profonde pour que cela soit envisageable. Il faut donc trouver un espace de dialogue pour éviter la fracture qui se profile à l’horizon.

Après tout, le Sud global ne demande qu’une chose : que son émergence économique, militaire, diplomatique et culturelle ne soit pas considérée comme une menace, mais reconnue comme un apport à l’édification du monde actuel et futur.

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