Face aux GAFAM, des solutions d’ici

Avec des revenus en berne, difficile de payer les dépenses de reportage, notent les auteurs. En photo, des journalistes dans la banlieue de Kiev, en 2022.
Rodrigo Abd Associated Press Avec des revenus en berne, difficile de payer les dépenses de reportage, notent les auteurs. En photo, des journalistes dans la banlieue de Kiev, en 2022.

Il y a cinq ans, un petit OBNL apparaissait : le Fonds québécois en journalisme international (FQJI). Son but ? Financer les dépenses de reportage de journalistes de médias d’ici cherchant à faire découvrir des ailleurs à vous, lecteurs.

C’est que l’émergence des géants du Web a eu pour effet de priver nos médias de revenus publicitaires clés. Avec des revenus en berne, difficile parfois de payer les salaires des journalistes. Et encore plus difficile de payer les dépenses de reportage, voire de celles à l’étranger, malgré toute la bonne volonté de nos médias dont les moyens se trouvent limités. Résultat : la migration des revenus publicitaires vers les géants du Web amenuise notre propre regard sur le monde.

Face à ce péril — et au risque de voir s’estomper un regard québécois sur le monde —, nous avons tenté de trouver un remède. Réel, à notre hauteur. Nous avons réuni sous une même bannière des donateurs privés, publics et des syndicats qui se sont engagés à financer, sans droit de regard sur le contenu, les dépenses de reportage à l’étranger de journalistes travaillant pour des médias québécois. Ces donateurs ne financent pas un média, mais les dépenses de journalistes travaillant dans différents médias, et ce, sur la base de décisions d’un jury indépendant.

Depuis sa création, en septembre 2018, le Fonds québécois en journalisme international a octroyé plus de 300 000 $ en bourses à 65 journalistes de 18 médias québécois qui se sont rendus dans près d’une cinquantaine de pays, pour diffuser au total plus de 150 reportages originaux. Le FQJI nourrit aussi des vocations, en permettant à des journalistes de la relève de se frotter au reportage international et à des journalistes aguerris de poursuivre leur passion.

Ces reporters vous ont amenés avec eux dans le sillon des ravages de la guerre en Ukraine ; dans le nouveau quotidien sous les talibans en Afghanistan ; à la rencontre de femmes inuites qui se sont fait poser un stérilet de force au Groenland ; dans les camps où croupissent des enfants canadiens dont les parents soutenaient le groupe État islamique ; sur les sentiers étrangers de nos entreprises minières ; dans les méandres de l’industrie du saumon au Chili ; et, plus récemment, chez les pêcheurs de crabe de l’Alaska, dont les défis résonnent jusqu’en notre Gaspésie.

Plusieurs de ces reportages ont remporté des prix (Gémeaux, Judith-Jasmin, de l’Association canadienne des journalistes), certains ont été repris dans de grands médias européens après avoir été publiés au Québec, tandis que le FQJI s’est vu accorder en 2022 le prix de la Tribune de la presse parlementaire canadienne.

Tout ça pour dire quoi ? Que face aux géants du Web — qui, en plus de capter les revenus des médias, refusent de leur verser des droits compensatoires pour la diffusion de l’information produite ici —, il y a des solutions. Le Fonds québécois en journalisme international ne prétend pas être LA solution, mais l’une de ces solutions. Un renfort. Un modèle d’ici. Un modèle unique. Un modèle novateur, qui doit être encore consolidé, pérennisé et étendu pour assurer notre droit de voir aussi le monde par nos propres yeux.

Il y va non seulement de la défense du droit à l’information, y compris internationale, mais, plus profondément, de notre épanouissement collectif.

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