Un centre d’excellence du nucléaire en péril au Québec

La centrale nucléaire Gentilly-2
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En 1824, un article de Joseph Fourier présente pour la première fois un phénomène physique qu’il appellera « effet de serre ». Deux siècles plus tard, nous sommes confrontés aux effets de ce phénomène : bouleversements climatiques, incendies, famines, épidémies, migrations, etc. Or, c’est principalement le recours aux énergies fossiles qui a déréglé notre climat.

Comme le souligne Jean-Marc Jancovici, les sources d’énergie « non carbonées » comme l’hydroélectricité, le nucléaire et les énergies alternatives (éolien et photovoltaïque) ne fournissent toujours que 18 % de l’énergie primaire mondiale et 40 % de la production électrique. Ce pourcentage était le même en 1974 (Jancovici, 2022).

Atteindre la carboneutralité au Québec

 

Le gouvernement du Québec a proposé un ambitieux plan de carboneutralité pour 2050. La réalisation de ce plan pose d’énormes enjeux technologiques, car il repose sur le remplacement des énergies fossiles par des sources d’énergie carboneutres, mais plus coûteuses et difficiles à déployer.

Selon le plan stratégique 2022-2026 présenté par Hydro-Québec, le Québec aura besoin de produire annuellement 100 térawattheures (TWh) additionnels d’énergie électrique si la province veut atteindre la carboneutralité d’ici 2050. À titre de comparaison, le complexe La Grande dans sa totalité, avec une puissance de 16 000 MW, produit 83 TWh. La centrale de Gentilly-2 avec une puissance de 635 MW produisait 4,7 TWh jusqu’en 2012, étant donné son facteur de charge élevé.

Il s’agit donc d’une augmentation importante, considérant le fait qu’il n’existe plus de site se prêtant à une telle production d’énergie hydroélectrique sur le territoire du Québec. Le p.-d.g. d’Hydro-Québec, Michael Sabia, s’est dit ouvert à l’analyse de plusieurs options pour produire ces MW additionnels, incluant le recours à l’énergie nucléaire.

Un triple défi pour le Québec

 

Le recours à l’énergie nucléaire est nécessaire pour satisfaire une part importante des objectifs de production fixés par Hydro-Québec. Pour les besoins de la discussion, fixons cette production nucléaire à environ 4 000 MW, représentant le tiers des nouveaux besoins avec un horizon pour 2050. Hydro-Québec ne sera pas le seul producteur d’énergie à envisager une telle production d’énergie nucléaire : de nombreux pays européens et asiatiques arrivent aux mêmes conclusions et cette valeur est comparable à deux des nouveaux projets annoncés récemment en Ontario qui sont de 4800 et 1200 MW, sur les sites de Bruce et de Darlington respectivement.

Le défi pour Hydro-Québec sera triple :

1. choisir les bonnes technologies pour produire des milliers de MW nucléaires ;

2. sécuriser les chaînes d’approvisionnement dans un contexte international qui va devenir de plus en plus compétitif ;

3. favoriser la formation de personnel hautement qualifié.

 

Nos préoccupations sont relatives à ces défis. Les choix technologiques sont fondamentaux. De nombreuses options de production nucléaire existent sur le marché (petits ou gros réacteurs modulaires, filières diverses, réacteurs de seconde, troisième ou quatrième génération, etc.). Chacune de ces options répond à des besoins et a des contraintes qui lui sont propres. Nous croyons qu’Hydro-Québec devrait s’appuyer sur l’expertise des ingénieurs québécois et canadiens et sur nos universités pour élaborer sa stratégie. Plusieurs des ingénieurs impliqués dans l’exploitation de Gentilly-2 sont toujours en activité au Québec, au Canada et au niveau mondial, certains d’entre eux oeuvrant encore au sein d’Hydro-Québec.

La seconde préoccupation est relative à la sécurisation des chaînes d’approvisionnements. La construction modulaire de réacteurs nucléaires, qui est utilisée autant pour les petits ou gros réacteurs, requiert la fabrication délocalisée d’équipements (appelés modules) spécialisés, semblable à ce qui se fait en aéronautique ou dans le secteur automobile. Pour le nucléaire on doit ajouter l’approvisionnement en uranium pour la durée de l’exploitation et la mise en place de stratégies de revalorisation du combustible usé. Le nombre de fournisseurs est forcément limité et le nombre de clients potentiels ira en augmentant.

Depuis les années 1970, l’Institut de génie nucléaire (IGN) de Polytechnique Montréal a formé la quasi-totalité du personnel hautement qualifié qui oeuvre au Québec dans le domaine de l’ingénierie nucléaire. L’IGN est toujours actif, même si l’Institut a dû réorienter en partie ses activités vers d’autres marchés depuis dix ans. L’IGN a aussi développé des logiciels et applications dans le secteur nucléaire qui sont encore à la fine pointe de la technologie et même envisagé par les développeurs des nouvelles filières de petits réacteurs modulaires.

Ces expertises contribuent à la formation de personnel hautement qualifié qui fait ensuite carrière dans les entreprises d’ingénierie nucléaire au Canada et ici au Québec. L’IGN souhaite poursuivre sa mission et soutenir l’industrie nucléaire en adéquation avec les besoins du Québec.

En conclusion, nous croyons que le recours à l’énergie nucléaire est nécessaire pour atteindre la carboneutralité au Québec, mais doit être envisagé avec minutie et en tirant profit des spécialistes du domaine présents au Québec, tout en veillant au développement de nouvelles compétences. La procrastination n’est pas une option et il faudra maintenant évaluer et sélectionner les meilleures stratégies pour y parvenir.

*Ont aussi signé cette lettre :

Benoit Arsenault, Alain Batailly, Michel Beaudet, Mathieu Beaudoin, Cédric Begin, Éric Boisclair, Rachid Boukhili, Richard Chambon, Saïd El-Hajjami, Majid Fassi Fehri, Réal Forté, René Girard, Frederick Gosselin, Pascal Hernu, Solange Laberge, Rida Milany, Richard Moffett, Minh Nguyen, René Pageau, Gilles Sabourin, Emmanuel St-Aubin, Étienne Saloux, Kaveh Siamak, Jérôme Vettel, David Vidal, Jeremy Whitlock, Jean Wilson, Ramdane Younsi.

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