Le beau risque, une erreur, selon René Lévesque lui-même

«Ceux et celles qui y ont assisté à l’échec des dernières tentatives de réforme de la Constitution du Canada devraient admettre aujourd’hui que non seulement le beau risque ne s’est pas réalisé, mais aussi qu’il a été une erreur», écrit l’auteur.
La Presse canadienne «Ceux et celles qui y ont assisté à l’échec des dernières tentatives de réforme de la Constitution du Canada devraient admettre aujourd’hui que non seulement le beau risque ne s’est pas réalisé, mais aussi qu’il a été une erreur», écrit l’auteur.

Ajoutant ma voix à celles qui ont donné la réplique au chef intérimaire du Parti libéral du Québec selon lequel « le beau risque de René Lévesque s’est réalisé », il m’apparaît utile de rappeler un moment d’histoire et de rapporter les propos de l’ancien premier ministre du Québec relativement au beau risque.

Mis en avant dans les semaines suivant la prise du pouvoir par Brian Mulroney en 1984, le concept était ainsi décrit par M. Lévesque lors du Conseil national du Parti québécois le 23 septembre 1984 : « Si le fédéralisme devait fonctionner moins mal et même s’améliorer, est-ce que cela ne risque pas d’étouffer un peu notre option fondamentale et de renvoyer la souveraineté aux calendes grecques ? Il y a un élément de risque, mais c’est un beau risque, et nous n’avons pas le loisir de refuser. »

Ce concept était une réponse à l’engagement de Brian Mulroney de « convaincre l’Assemblée nationale de donner son assentiment à la nouvelle Constitution canadienne avec honneur et enthousiasme ». Sur la foi de cet engagement, René Lévesque présentera en mai 1985 un Projet d’accord constitutionnel. Ce projet comportera une exigence, soit celle de la reconnaissance de l’existence du peuple québécois. Il prévoira ensuite qu’une fois reconnue une telle existence, le Québec sera disposé à conclure un accord, à trois conditions, soit celles : 1. de reconnaître la responsabilité première du Québec en matière de droits et libertés ; 2. de consentir à modifier la procédure d’amendement ; et, 3. de s’entendre sur les termes de la participation du Québec à la fédération canadienne.

Si le beau risque s’était réalisé, ces trois conditions auraient été satisfaites. Mais l’ont-elles été ? Il est permis d’en douter.

S’agissant de la reconnaissance de l’existence du peuple québécois dans la Constitution canadienne, l’insertion par l’Assemblée nationale dans la Loi constitutionnelle de 1867 d’un article 90Q.1 voulant que « [l]es Québécoises et les Québécois forment une nation » résulte d’une modification unilatérale du Québec. Celle-ci fait d’ailleurs l’objet d’une contestation constitutionnelle dans l’affaire Ravinsky et al. c. Procureur général du Québec où il est demandé aux tribunaux de déclarer que cette modification est « inadmissible, et ultra vires de l’Assemblée nationale du Québec ».

Concernant la reconnaissance de la responsabilité première du Québec en matière de droits et libertés, non seulement elle n’a pas eu lieu, mais la Charte canadienne des droits et libertés, a été utilisée pour nier le droit exclusif du Québec de déterminer sa langue officielle et de légiférer sur toute matière linguistique dans les secteurs de sa compétence.

Les multiples recours qui sont actuellement pendants devant les tribunaux relatifs à la Charte de la langue française, modifiée par la Loi sur la langue officielle et commune, le français, illustrent éloquemment le refus de cette condition, comme le rejet de toute discussion voulant que le Québec ait le « pouvoir d’assujettir ses propres lois à [sa] seule Charte […] des droits et libertés de la personne ». Les lois québécoises continuent aujourd’hui d’être assujetties à la Charte canadienne, y compris la Loi sur la laïcité de l’État, qui fait aussi l’objet de nombreux recours en inconstitutionnalité.

Quant à la modification de la procédure d’amendement constitutionnel réclamée dans le Projet d’accord constitutionnel, absolument rien n’a été fait.

Mais là où le bât blesse et où le beau risque n’a jamais été réalisé, c’est à l’égard de la demande de satisfaction des revendications légitimes du Québec. Qu’il s’agisse de l’encadrement du prétendu pouvoir de dépenser, de la suppression du pouvoir de désaveu et de réserve, de l’adaptation des compétences aux besoins du Québec, notamment en matière de sélection et d’établissement des immigrants au Québec, de communications, de mariage et de divorce ainsi que dans ses relations internationales, aucun progrès n’a été réalisé. Il en va de même pour la réforme des institutions judiciaires qui devait notamment se traduire par l’attribution au Québec de la compétence de nommer les juges de la Cour d’appel et de la Cour supérieure du Québec.

Comme l’histoire l’enseigne, le gouvernement de Brian Mulroney a refusé d’engager le dialogue avec le gouvernement de René Lévesque sur la base du Projet d’accord constitutionnel. Et on connaît la suite. Des négociations allaient conduire à la conclusion le 30 avril 1987 de l’accord du lac Meech, qui était loin de répondre aux demandes formulées par le gouvernement de René Lévesque deux ans plus tôt.

Quelques mois après la conclusion de l’accord du lac Meech et dans le cadre d’un colloque organisé dans le cadre des premiers Entretiens Jacques-Cartier à Lyon, en juin 1987, René Lévesque confiait à un groupe d’universitaires prenant part à un colloque sur « La souveraineté à l’aube du XXIe siècle » que le beau risque avait été une « erreur ». Je me souviens de cet échange à l’occasion duquel le fondateur du Parti québécois affirmait qu’il n’y aurait aucun honneur ni enthousiasme à réintégrer le giron constitutionnel canadien sur la base de l’accord du lac Meech. Cet accord deviendra caduc en 1990, et la version édulcorée de celui-ci, l’accord de Charlottetown, sera également écartée en 1992.

René Lévesque n’aura pas vécu assez longtemps pour assister à l’échec des dernières tentatives de réforme de la Constitution du Canada. Ceux et celles qui y ont assisté — de même que l’ensemble des Québécois et Québécoises — devraient admettre aujourd’hui que non seulement le beau risque ne s’est pas réalisé, mais aussi qu’il a été une erreur. Et cette erreur mérite d’être réparée. La meilleure réparation en la matière sera non pas de prendre un autre « beau risque », mais plutôt de faire un « geste responsable », celui de faire accéder le Québec à l’indépendance.

C’est le seul geste qui devrait être fait pour que, comme l’a affirmé jadis un autre chef du Parti libéral du Québec en la personne de Robert Bourassa : « [l]e Canada anglais [comprenne] de façon très claire que, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, le Québec est, aujourd’hui et pour toujours, une société distincte, libre et capable d’assumer son destin et son développement ».

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