À Rouyn-Noranda, exproprier doit se faire dans la dignité

À propos de la triste saga de la fonderie Horne, où les citoyens vont de déconvenue en mauvaise surprise, nous formulions récemment dans cette colonne le souhait que pour le processus d’expropriation de 200 ménages de la zone empoisonnée, la dignité, l’élégance et la générosité soient au moins au rendez-vous. Il semble que c’était un rêve inaccessible. Après avoir subi un revers en mars dernier, où Québec confirmait l’expulsion de la « zone tampon » des habitants les plus touchés par la présence d’arsenic dans l’air, la population de Rouyn-Noranda doit à nouveau lever le poing de l’indignation et revendiquer une participation au processus qui les concerne.

Dans une lettre récemment publiée dans Le Devoir, la citoyenne Marie-Ève Duclos, propriétaire visée par le processus d’expropriation du quartier Notre-Dame, près de la fonderie Horne, ne prend aucun détour pour appeler de tous ses voeux ce que d’aucuns pourraient juger naturel : une participation minimale dans le processus et la prise de décisions. « Le ministère, la Ville et la Fonderie sont en train de décider, sans nous, ce qu’il adviendra de nous. C’est inacceptable ! » tonne-t-elle.

On ne peut reprocher à cette citoyenne déçue l’emportement qu’elle manifeste ici, et qu’elle porte pour tous les propriétaires visés par l’expulsion de la « zone tampon ».

Rappelons le fil des événements : la population de Rouyn-Noranda cohabite depuis 1927 avec l’usine métallurgique, propriété de la multinationale suisse Glencore. Depuis des décennies, les différents gouvernements ont toléré en toute connaissance de cause l’émission de niveaux de polluants démesurément élevés et absolument néfastes pour la santé des habitants vivant aux abords de la fonderie.

Des experts ont sonné l’alarme il y a plus de soixante ans. On a établi le lien entre l’émission d’arsenic et d’autres métaux sur la prévalence du cancer du poumon et l’état de santé des femmes enceintes, de leur foetus et des tout-petits. Alors que partout au Québec, la norme acceptable d’émission d’arsenic dans l’air est de trois nanogrammes par mètre cube (ng/m3), la Santé publique a bricolé une apparence de compromis en tolérant une norme « acceptable » de 15 ng/m3 d’arsenic dans l’air jusqu’en 2027, arguant que ce niveau suffirait à protéger du pire.

En mars dernier, les citoyens visés et inquiets de cette tolérance incompréhensible apprenaient qu’ils allaient être expropriés. Incapable d’en arriver à un compromis sécuritaire, le gouvernement a tranché : 200 ménages allaient devoir quitter la zone maudite. Il s’agit d’un échec retentissant.

Peut-on maintenant offrir à ces citoyens qu’on expropriera le respect élémentaire que commande une opération de déracinement aussi délicate et perturbante ? Québec n’a pas à chercher bien loin pour savoir comment procéder avec dignité. Fin 2022, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) publiait un condensé des meilleures pratiques observées dans le monde pour guider des manoeuvres d’expropriation et de relogement.

On y apprend sans grande surprise que ce type d’événement constitue dans la vie d’une personne une des sources d’anxiété et de bouleversement psychologique les plus intenses. Stress, colère, sentiment d’impuissante et d’injustice cohabitent lorsque les citoyens visés subissent cette perte involontaire de leur chez-soi, souvent symbole de patrimoine familial, et se sentent écartés du processus qui les concerne de manière si intime. Parmi les recommandations colligées par l’INSPQ, on note qu’il faut privilégier le partage d’information et la pratique de la consultation pour éviter de heurter davantage les habitants visés et de nourrir une perte de confiance envers les autorités. C’est une évidence.

Les échos des derniers jours laissent croire que ce sont malheureusement des recommandations qui n’ont pas été suivies. Comme on retient difficilement les leçons dans ce Québec à la mémoire qui flanche ! Dans un fiasco nommé Mirabel, ce sont les injustices infligées aux citoyens qui colorent notre souvenir morose.

Dans son cri d’indignation, Marie-Ève Duclos n’a pas manqué de pointer l’apparente indifférence du gouvernement Legault face aux demandes des citoyens. Il est vrai qu’en campagne électorale, le chef de la CAQ, François Legault, avait promis que les décisions reviendraient aux citoyens du coin, aux premiers concernés. Ceux-ci se sentent maintenant relégués aux oubliettes.

Lorsque les futurs expropriés ont demandé d’être partie prenante du processus, on leur a dit que le dossier était complexe, et qu’il fallait d’abord sceller l’entente avec la Fonderie et la Ville avant de retourner vers eux. Cette réponse a choqué, et on peut comprendre pourquoi.

De même, lorsque le député caquiste de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Daniel Bernard, se félicite dans sa vidéo hebdomadaire du 28 août dernier des « résultats », de l’« avancement » et de la « bonne direction pour améliorer la qualité de vie des gens de Rouyn-Noranda » dans le dossier de la fonderie, il semble bien qu’il a oublié un détail : en parler aux principaux intéressés.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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