«Fausse impression de contrôle» dans les finances de Lévis

L’administration de la ville a exagéré ses réussites en matière de finances, révèle un récent rapport du vérificateur général.
Getty Images iStockphoto L’administration de la ville a exagéré ses réussites en matière de finances, révèle un récent rapport du vérificateur général.

Lévis ne se hisse pas aussi haut qu’elle le croit sur le podium des grandes villes québécoises en matière de finances. Le rapport du vérificateur général de la Ville fait état d’un bilan financier moins reluisant qu’on le croit et d’une gestion déficiente des projections budgétaires.

Dans un rapport de 118 pages présenté lundi soir, Yves Denis modère plusieurs prétentions de l’administration Lehouillier, qui élèvent erronément Lévis au rang de première de classe.

Le vérificateur général pourfend notamment l’interprétation faite par la Ville de certains ratios financiers, qui mène « à une appréciation surévaluée de la réalité ». Les troupes du maire Gilles Lehouillier placent souvent Lévis « au premier rang des grandes villes pour les plus faibles dépenses par unité d’évaluation, au premier rang pour le plus faible endettement sur la richesse foncière uniformisée (RFU) et au premier rang pour le plus faible taux global de taxation parmi les cinq villes comparables ».

Lundi, le VG a mis un cran d’arrêt à ces présomptions.

Lévis prend seulement en compte l’unité d’évaluation pour tracer la moyenne de ses dépenses, souligne le rapport. Or, une unité comporte souvent plusieurs appartements : en faisant le même calcul, mais sur la base des logements, Lévis n’arrive plus première, mais septième parmi les dix grandes villes du Québec.

Idem pour le taux global de taxation : la Ville prétend être en tête du palmarès, sans tenir compte de la valeur moyenne des immeubles de chaque municipalité dans son interprétation. « Il serait plus pertinent, indique le VG, d’utiliser la charge fiscale moyenne par logement » pour éviter de gonfler artificiellement la performance de Lévis.

Le vérificateur général déplore aussi l’utilisation de la richesse foncière uniformisée par Lévis pour établir sa position sur le plan de l’endettement. La Ville est la seule des 10 plus grandes municipalités du Québec à prendre cette mesure en compte. « La RFU est principalement le reflet du marché, [et] ce ratio est peu significatif », conclut le rapport. Son usage induit « une perception d’être en contrôle [de la dette], alors que ce n’est pas forcément le cas ».

« Les indicateurs utilisés sont autorisés par le ministère des Affaires municipales », explique la présidente du comité des finances de Lévis, Isabelle Demers. « On ne s’en est pas créé. »

Le maire, Gilles Lehouillier, rappelle de son côté que ces ratios sont en usage depuis longtemps. « Pas d’objection à se remettre à la page, par contre », précise-t-il.

Des balises bafouées

 

Le rapport du VG signale aussi un manque de rigueur dans le respect du cadre budgétaire adopté par l’exécutif.

En 2016, par exemple, la Ville a fixé des limites pour contrôler ses emprunts. Elle ne les a jamais respectées, et elle ne fournit pas non plus d’explications « pour justifier l’écart », souligne le rapport.

« Ni le plan financier 2021-2025 ni les programmes triennaux d’immobilisations (PTI) ne sont établis à l’intérieur des balises financières relatives aux niveaux d’emprunt fixé par le comité exécutif », poursuit le vérificateur général. Pourtant, lors de la présentation du son plus récent budget, en décembre dernier, Lévis prétendait que son PTI « respect[ait] en tout point les cibles d’emprunt et d’endettement fixées par la Ville ».

Le directeur général de Lévis, Simon Rousseau, affirme que, sur cette question, le VG se fie sur « les données sous la forme théorique ». « Ce ne sont pas les chiffres réels dépensés chaque année, qui cadrent normalement autour des cibles qu’on a convenues. »

Les aléas économiques comme l’inflation font gonfler les factures et poussent la Ville, « en bonne gestionnaire des deniers publics », à renoncer à certains projets, explique le maire, Gilles Lehouillier. « Souvent, nous ne dépensons pas ce que nous avions planifié en termes de cibles », ajoute-t-il, tout en notant que certains appels d’offres ne trouvent aucun soumissionnaire depuis quelques années.

Enfin, le rapport dénonce le peu d’informations données aux citoyens, qui n’ont pas accès au budget détaillé. « La Ville ne fournit pas toujours suffisamment de détails pour expliquer comment sont utilisés les fonds qu’elle gère. […] L’information fournie ne fait pas ressortir la situation financière d’ensemble de la Ville ni sa performance réelle. »

Au moment de prendre connaissance du plus récent budget de Lévis, en décembre dernier, les journalistes n’avaient notamment en main qu’un résumé de 8 pages dans lequel figuraient 13 graphiques et très peu de détails.

Un plan réclamé

 

L’unique élu de l’opposition à l’hôtel de ville lévisien, Serge Bonin, dénonce ces façons de faire.

« Je dois engager ma responsabilité sur un résumé de huit pages pour orchestrer un budget de 333 millions de dollars », critique le conseiller membre du parti Repensons Lévis. « Je me sens, en tant qu’élu, exclu de la démarche et placé devant des résultats très sommaires. »

Le maire de Lévis entend remédier à cette situation dès l’an prochain. « Le soir du budget, la grosse brique totalement détaillée, nous allons la rendre publique », a indiqué M. Lehouillier. « Nous, on pensait que les informations données étaient suffisantes. »

M. Bonin s’inquiète aussi de l’importante dette traînée par Lévis, qui classe la municipalité en queue du peloton québécois à ce chapitre. « Le taux d’endettement sur revenus souhaitable pour une ville est en général autour de 100 %, alors que Lévis est à 144 % », souligne le conseiller dans un communiqué. « Le ratio dette sur revenus de Lévis nous situe en neuvième position sur les dix plus grandes villes. »

M. Bonin déplore aussi « qu’un plan de gestion de la dette ne semble toujours pas exister, bien qu’on en parle lors de conférences de presse depuis près de cinq ans ». Dans son rapport, le vérificateur général souligne que son bureau recommande depuis 2007 l’adoption de politiques de gestion financière.

« Certaines recommandations importantes n’ont toujours pas été appliquées à ce jour, notamment une politique de renouvellement des infrastructures, écrit Yves Denis dans son rapport. En conséquence, la démarche de la Ville ne procure pas l’assurance que les projections effectuées sont partagées et réalistes. »

Recommandations

 

Le vérificateur général émet ainsi plusieurs recommandations à la Ville, notamment de développer et de mettre à jour une planification financière à long terme, de resserrer la surveillance exercée par les instances sur les budgets et de joindre les hypothèses qui fondent les projections de revenus et de dépenses émises par l’administration.

« Pour l’heure, les plans et projections produits lui donnent, de même qu’aux parties prenantes, une fausse impression de contrôle parce que les réflexions sous-jacentes ne sont pas suffisamment poussées », conclut le vérificateur général.

L’administration Lehouillier accueille « positivement » les recommandations du rapport et s’engage à préparer un plan détaillé et un échéancier pour le réaliser. « Nous nous engageons à assumer le leadership positif nécessaire afin d’éviter que le sort réservé aux recommandations de 2007 et 2010 ne se reproduise », promet-on.

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