Résistances écologiques au Bas-Saint-Laurent

«En 2023, la principale menace pour le Bas-SaintLaurent provient de la Chambre de commerce de Rimouski qui souhaite dérouler une autoroute entre NotreDame-desNeiges et le village du Bic», écrit l’auteur.
Montage Le Devoir «En 2023, la principale menace pour le Bas-SaintLaurent provient de la Chambre de commerce de Rimouski qui souhaite dérouler une autoroute entre NotreDame-desNeiges et le village du Bic», écrit l’auteur.

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons un texte paru dans la revue À bâbord !, numéro 96, été 2023.

Les militants bas-laurentiens n’en sont pas à leur premier rodéo : l’industrie pétrolière lorgne depuis longtemps ses berges et ses vallons pour y faire couler ou y étaler du bitume. Comment une poignée de militants écologistes a-t-elle mis à genoux un géant de l’industrie ?

Au début des années 1980, TransCanada a déjà dans ses cartons l’idée d’utiliser le port de mer en eau profonde de Gros-Cacouna comme port méthanier. Ce projet avait même réussi à obtenir l’approbation du BAPE de l’époque, mais était finalement tombé à l’eau. Le projet, qui comprenait une exploitation gazière dans le Grand Nord de l’Arctique, était jugé trop risqué techniquement et financièrement pour qu’il puisse aller de l’avant. En 2005, TransCanada est de retour à Cacouna avec Petro-Canada comme partenaire, et propose cette fois-ci d’importer du gaz russe liquéfié et de le transporter aux États-Unis par gazoduc.

La population locale est divisée : d’un côté, on s’inquiétait de la sécurité et de la protection du territoire ; de l’autre, on était attiré par les promesses d’un eldorado économique que faisait miroiter la compagnie. Le projet nommé à l’époque Énergie Cacouna recevra également le OK du BAPE. La persévérance des habitants de Cacouna qui s’opposèrent à TransCanada aura toutefois permis d’éviter le pire en retardant le début de la construction du terminal méthanier. Ce délai fit en sorte qu’au début 2008, Gazprom retira ses billes d’Énergie Cacouna en tant que fournisseur de gaz naturel, anéantissant ainsi les espoirs des promoteurs. La découverte du gaz de schiste aux États-Unis sera le prélude d’un gigantesque boom gazier, qui rendra obsolète l’importation du gaz naturel provenant de Russie.

En 2013, lorsque TransCanada annonce son retour à Cacouna, cette fois pour construire un port pétrolier voué à l’exportation des sables bitumineux, la population locale est pour une troisième fois prise en otage. Commence alors l’une des plus belles luttes environnementales de l’histoire du Québec, qui finira par faire plier bagage à ces cowboys de l’Ouest venus tenter de dérouler leur tuyau de bitume pour exporter leur pétrole sale à travers Cacouna.

« Coule pas chez nous »

En 2013, un groupe de Kamouraska militait déjà contre le projet Énergie-Est et son projet d’oléoduc à 14 milliards de dollars. Ce groupe deviendra l’instigateur du mouvement « Coule pas chez nous », qui ne tardera pas à faire des petits au Témiscouata et tout le long du tracé de l’oléoduc traversant le Québec. Le 10 mai 2014, lors du lancement de la campagne « Coule pas chez nous » à Cacouna, se met en branle simultanément la Marche des peuples pour la terre mère. Cette grande marche de sensibilisation réunit plus d’une centaine de marcheurs, qui, partis de Cacouna, termineront leur périple de 700 km 34 jours plus tard à Kanesatake. Cette marche contribuera à renforcer le mouvement anti-oléoduc et à réseauter les activistes de partout au Québec.

À Rivière-du-Loup, les Pétroliques Anonymes sont également à l’affût, tout comme « Prospérité sans pétrole » et « Non à une marée noire dans le Saint-Laurent », deux groupes très actifs à Rimouski. Un groupe de Trois-Pistoles financé par Greenpeace organise une veille citoyenne, qui fera de la surveillance en kayak de mer et à partir de la montagne de Gros-Cacouna pour observer les travaux de relevés sismiques dans la pouponnière des bélugas. Cette surveillance, avec l’aide juridique du Centre québécois du droit à l’environnement, permettra de détecter plusieurs infractions au certificat d’autorisation environnementale de TransCanada qui, par la voix de son porte-parole Philippe Canon, se targuait de respecter les plus grands standards de sécurité environnementale.

Ces groupes du Bas-Saint-Laurent iront chercher l’appui de nombreuses organisations environnementales nationales et seront à la tête des deux manifestations d’avril et octobre 2014, cette dernière venant mettre un clou dans le cercueil du projet de port pétrolier de Cacouna. Quelques mois plus tard, c’est tout le projet Énergie-Est qui tombera, mettant fin une fois pour toutes à cette saga.

Toujours plus de bitume

 

Comme on peut le constater, la région du Bas-Saint-Laurent est foisonnante de groupes citoyens mobilisés pour la protection du territoire. En 2023, la principale menace pour le Bas-Saint-Laurent provient de la Chambre de commerce de Rimouski qui souhaite dérouler une autoroute entre Notre-Dame-des-Neiges et le village du Bic. Cette autoroute viendrait défigurer et saccager la majestueuse vallée de la rivière Trois-Pistoles avec la construction d’un pont gigantesque évalué à près de 300 millions de dollars. En plus du magnifique paysage bas-laurentien, le projet détruirait des terres agricoles, de nombreuses érablières, des milieux humides et des kilomètres de forêt, tout ça pour un coût total de près de 1,7 milliard de dollars.

La mobilisation contre ce projet s’organise et comme par le passé, les promoteurs de bitume croiseront sur leur route une résistance féroce, forte d’une expérience militante qui devrait faire en sorte qu’ils y réfléchiront à deux fois avant de se lancer dans cette folie bitumineuse !

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