Perdre son âme solidaire

En février dernier, les délégués au conseil national de Québec solidaire avaient rendu un hommage appuyé à Émilise Lessard-Therrien, dont la défaite dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue leur avait brisé le coeur.

Non seulement son élection en 2018 avait été la preuve qu’il était possible pour QS de percer dans les régions, mais la députée avait aussi forcé l’admiration de tous par son combat contre la fonderie Horne, propriété de la multinationale Glencore, qui empoisonnait littéralement ses commettants depuis des décennies sans que les gouvernements successifs aient osé s’y attaquer.

Mme Lessard-Therrien, qui est aujourd’hui candidate au poste de porte-parole féminin de QS, a demandé à son parti de renoncer à faire de la publicité sur Facebook durant la campagne à l’élection partielle du 2 octobre prochain dans Jean-Talon.

Elle y est allée le plus délicatement possible, disant comprendre les raisons qui ont amené sa formation politique à se désolidariser du boycottage des plateformes de Meta, mais le blâme n’en est pas moins réel. Dans une entrevue au Journal de Québec, elle a expliqué que de nombreux membres de QS l’ont appelée pour « manifester leur malaise », ce qu’elle a dit très bien comprendre.

Dans la plateforme électorale de QS, on pouvait lire : « Pour mettre fin à la concurrence déloyale des géants du Web, Québec solidaire s’engage à rapatrier les pouvoirs en culture et en télécommunications afin d’imposer davantage les multinationales du numérique et de financer la culture et les médias d’ici. »

Il est permis de se demander si un gouvernement solidaire, que ce soit dans le cadre d’un Québec souverain ou faisant toujours partie de la fédération, serait plus apte à faire plier les matamores numériques que le gouvernement canadien.

D’ailleurs, sans vouloir être indûment pessimiste, le jour où QS sera en mesure de former un gouvernement paraît pour le moins lointain. En attendant, moins est tout de même mieux que rien.

Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il en vient à perdre son âme, n’est-ce pas ? Dans le cas de QS, il ne s’agit même pas de l’univers, mais simplement de la circonscription de Jean-Talon, où ses chances de victoire paraissent minces. Son candidat, Olivier Bolduc, qui est de nouveau sur les rangs, avait fini deuxième à l’élection du 3 octobre 2022, 3000 voix derrière la caquiste Joëlle Boutin. À en croire les sondages, il risque plutôt de glisser en troisième place.

On comprend QS d’être inquiet de se retrouver sept points derrière le PQ dans les intentions de vote dans l’ensemble du Québec, mais ce n’est pas en se comportant comme une bande de scabs que les solidaires vont améliorer leur image. Les briseurs de grève n’ont pas bonne réputation, y compris chez les jeunes que QS cherche à courtiser.

Personne ne s’étonne vraiment que les libéraux fassent bande à part — ils sont déjà complètement déconnectés de la société québécoise —, mais le malaise d’Émilise Lessard-Therrien traduit celui d’une grande partie de la population, qui n’avait jamais douté des bonnes intentions de QS, même si elle n’adhérait pas à son programme.

Alors que la réprobation est pratiquement unanime d’un bout à l’autre du Québec, il est troublant que l’ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue soit la seule personnalité en vue de QS à manifester son désarroi.

On aurait pu s’attendre à ce que les deux autres candidates au poste de porte-parole, les députées Christine Labrie (Sherbrooke) et Ruba Ghazal (Mercier), qui se sont toutes deux dites prêtes à assumer les responsabilités de première ministre, s’expriment sur la question. Une course à la (co)chefferie est précisément le moment de faire connaître ses positions. Étaient-elles d’accord pour se désolidariser du boycottage des plateformes de Meta ?

Jusqu’à présent, Mme Lessard-Therrien se présentait avant tout comme la candidate des régions, où QS doit impérativement faire une percée. La victoire à l’élection partielle de mars dernier dans Saint-Henri–Sainte-Anne était assurément la bienvenue, mais cela ne fait qu’une circonscription de plus à Montréal. Elle devient maintenant la conscience de QS. N’étant plus membre du caucus des députés, elle peut prétendre se faire porte-parole de la base. Dans un parti où les membres ont toujours voulu affirmer leur indépendance face à la direction, cela peut être un argument de poids.

Il est vrai que QS se « resolidarisera » aussitôt passée l’élection partielle dans Jean-Talon. Le prochain congrès du parti aura lieu seulement à la fin de novembre ; la direction doit espérer que les militants ne lui tiendront pas trop rigueur de cet écart de conduite.

Ce n’est pas la première fois que l’aile parlementaire adopte une position que les militants réprouvent après coup, mais une petite tape sur les doigts ne l’empêche pas de récidiver.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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