En finir avec la détention migratoire

Depuis plus d’une semaine maintenant, des personnes détenues par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au tout nouveau Centre de surveillance de l’immigration (CSIL) font la grève de la faim pour protester contre le caractère arbitraire et injuste de leur détention.

Jeudi, ils étaient une trentaine à tenir bon, entre les murs de cet établissement de détention soi-disant plus convivial et plus humain, inauguré en octobre dernier.

Il en a été question dans ces pages vendredi dernier. Dans les témoignages recueillis par Le Devoir, certains grévistes rapportaient avoir été placés en détention il y a plusieurs mois déjà, pour des motifs qui semblent tout à fait exagérés, et sans connaître la date précise de renvoi vers leur pays d’origine.

L’ASFC place généralement en détention les personnes en situation irrégulière pour trois motifs : le risque de fuite, l’impossibilité de confirmer l’identité de la personne ou alors la (présumée) dangerosité de l’individu. Or ces critères sont souvent appliqués de manière large et arbitraire, privant de leur liberté des personnes qui auraient très bien pu, par exemple, être soumises à des mesures de surveillance tout en demeurant dans la communauté.

Cette grève de la faim rappelle que la « détention administrative » des personnes en situation migratoire irrégulière est un euphémisme grossier qui sert à donner un vernis de légitimité aux pratiques proprement carcérales de l’ASFC.

Dans les centres de détention comme le CSIL, les transports se font avec des menottes aux pieds et aux mains, les horaires sont réglés à la manière d’un pénitencier, on recourt à l’isolement cellulaire — fréquemment utilisé, rapportent des témoignages — pour « gérer » les personnes en détresse.

Ce n’est pas un hasard si l’ASFC a longtemps conclu des ententes avec les provinces pour détenir les personnes appréhendées dans les prisons provinciales : la détention liée à l’immigration est une incarcération au sens plein du terme. Entre 2015 et 2020, en moyenne, 2000 personnes par année auraient ainsi été emprisonnées, un peu partout au Canada.

On dit souvent que cette pratique est aberrante parce qu’elle permet d’envoyer en prison des personnes « qui n’ont commis aucun crime ». Je crois que cette rhétorique de l’innocence ne sert personne. Elle sert surtout à justifier le mépris généralisé à l’égard des droits des personnes qui, elles, ont bel et bien commis une infraction criminelle. Elle sert aussi à cultiver un soupçon, suggérant que si les migrants qu’on emprisonne ne montrent pas patte blanche, peut-être méritent-ils, au fond, d’être détenus.

Il faudrait plutôt souligner que les personnes détenues pour les fins de l’immigration ne bénéficient pas des mêmes droits et garanties d’équité procédurale que les autres personnes incarcérées et qu’en ce sens, leur détention est doublement injuste — tant dans un centre de l’ASFC que dans une prison. Elles sont soumises au pouvoir discrétionnaire dont dispose l’ASFC, elles peuvent être perpétuellement détenues sans raison claire…

En 2022, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse annonçaient qu’elles cesseraient de détenir des personnes dans les prisons provinciales pour le compte de l’ASFC. En juin dernier, l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick emboîtaient le pas. Il s’agit d’un progrès certain. En revanche, les témoignages en provenance du CSIL montrent bien que nous tolérons encore, sur le territoire du Québec, l’existence d’un régime carcéral d’exception qui s’applique aux personnes migrantes.

En octobre 2022, lors de l’ouverture du nouveau CSIL, l’ASFC déclarait dans un communiqué qu’elle s’engageait, à travers ce projet, à « améliorer le système de détention de l’immigration d’une manière plus humaine et équitable tout en respectant la sécurité publique ».

De grandes fenêtres, de beaux espaces récréatifs, un vocabulaire soigneusement choisi pour masquer la nature carcérale de l’institution — aucun effort n’a été ménagé pour dorer la pilule.

Malgré tout, peu après l’ouverture du centre, Pivot rapportait que les conditions de détention étaient pires que dans l’ancien établissement : surveillance accrue, contrôle étroit des déplacements, visites restreintes et soumises à des procédures laborieuses. Une prison demeure une prison. Peu importe comment on l’enrobe, l’ouverture de ce centre, dont la capacité de détention a été accrue, n’a en rien « humanisé » la détention liée à l’immigration. Au contraire, elle représente une expansion nette de la logique carcérale qui oriente la gestion de l’immigration au Canada.

À chaque fois que l’on parle de rendre la détention des personnes migrantes « plus humaine », on oublie de s’interroger sur la légitimité même d’une pratique qui n’a rien d’inévitable. Cette pratique n’est justifiée par rien d’autre que par l’idéologie : celle du péril migratoire, qui pose la figure du migrant en tant que menace, et relègue à la sous-humanité les personnes qui n’accèdent pas au luxe de la mobilité transnationale.

La grève de la faim en cours au CSIL doit certainement déboucher sur des gains à court terme, pour rectifier des violations de droit claires ici et maintenant, dans des cas spécifiques. Cependant, à plus long terme, il faut marteler que la seule manière humaine de réformer la détention liée à l’immigration est de l’abolir, et de la substituer par un programme de régularisation pour tous et toutes.

Chroniqueuse spécialisée dans les enjeux de justice environnementale, Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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