Éloignez de Marwah Rizqy ce calice

L’ancien premier ministre de l’Alberta, Ralph Klein, se plaisait à dire qu’« en politique, “non” veut dire “peut-être” et “peut-être” veut dire “oui” ».

Il est vrai qu’une hésitation de bon aloi est de mise pour un aspirant potentiel à la chefferie d’un parti politique. Une trop grande précipitation peut être perçue comme de la légèreté ou le signe d’une ambition malsaine. Même Lucien Bouchard, dans lequel tous les souverainistes voyaient un véritable messie, s’était laissé prier pendant un (court) moment avant d’accepter la succession de Jacques Parizeau.

Évidemment, un billet de première classe pour le poste de premier ministre se refuse plus difficilement qu’une place dans la dernière rangée d’un vol nolisé comportant d’innombrables escales sans service à bord.

On comprend la députée de Saint-Laurent, Marwah Rizqy d’être « tiraillée » en entendant les appels de ceux qui voient en elle la seule susceptible de redonner vie au PLQ. « J’ai toujours le goût de me lancer. Voyons, je suis une coureuse. C’est sûr que ça me tente […] mais il faut que je me rappelle moi-même à l’ordre », a-t-elle déclaré.

En politique comme ailleurs, le temps peut arranger bien des choses, même au PLQ. Les défauts peuvent même se transformer en qualités. En janvier 2019, alors qu’elle réfléchissait déjà à la chefferie même si elle venait tout juste d’être élue députée, Mme Rizqy avait été vertement rabrouée par ses collègues pour avoir osé dire que le parti devrait s’excuser pour les années d’austérité imposées par le gouvernement Couillard.

Face à ce qui était alors perçu comme un manque de solidarité impardonnable, on se demandait presque s’il ne fallait pas l’expulser. Elle avait accepté le blâme, mais sans se dédire. Aujourd’hui, on dirait qu’elle avait démontré du caractère.

On ne saura jamais si le PLQ aurait fait mieux aux dernières élections si elle avait été élue cheffe à la place de Dominique Anglade, qu’elle n’avait pas appuyée dans la course à la succession de M. Couillard. Elle s’était plutôt rangée derrière son éphémère adversaire, Alexandre Cusson.

En revanche, de tous ceux dont le nom est encore évoqué, Mme Rizqy est assurément celle qui pourrait redonner espoir aux libéraux. Son collègue de Pontiac, André Fortin, qui s’est désisté encore une fois, lui a lancé un appel à peine voilé en déclarant qu’elle ferait une « bonne cheffe » et qu’elle récolterait beaucoup d’appuis au sein du parti.

Il ne faut pas se faire des illusions : elle ne changera pas la nature du PLQ. Le parti ne pourra pas rivaliser de nationalisme avec la CAQ. Mme Rizqy représente elle-même une circonscription dont moins de la moitié des électeurs sont francophones. On peut cependant penser qu’elle saurait lui donner une direction plus claire, et son efficacité à l’Assemblée nationale n’est plus à démontrer.

Si elle décidait de plonger, elle serait sans doute élue sans opposition, comme l’avait été Mme Anglade, n’en déplaise aux apôtres d’un « débat d’idées ». Cela ne signifie pas qu’on assisterait à une quelconque « Rizkymanie ». Selon un sondage Léger effectué le mois dernier, seulement 7 % des électeurs libéraux voyaient en elle la meilleure cheffe pour le PLQ, alors que 28 % lui préféraient le chef intérimaire Marc Tanguay, qui a renoncé à être candidat depuis. Dans l’ensemble de la population, elle arrivait première avec seulement 11 %.

C’était quand même nettement mieux que le seul autre député de l’Assemblée nationale encore « en réflexion », Frédéric Beauchemin (Marguerite-Bourgeoys), qui ne recueillait que 2 % dans l’ensemble de la population et 1 % chez les électeurs libéraux.

La politique est un domaine où la conciliation travail-famille est particulièrement difficile, à plus forte raison pour une cheffe de parti, et Mme Rizqy souhaite avoir un deuxième enfant. Dans l’état de délabrement où se trouve le PLQ, cette conciliation s’apparente à une mission impossible. Chaque chose en son temps.

Si talentueuse que soit la députée de Saint-Laurent, il lui faudra beaucoup de temps pour refaire du PLQ un sérieux aspirant au pouvoir. De longues années durant lesquelles elle s’usera inévitablement, jusqu’au jour où il deviendra plus avantageux de proposer un nouveau visage aux électeurs.

Pendant huit ans, de 1950 à 1958, Georges-Émile
Lapalme s’est évertué à reconstruire le PLQ, qui s’était effondré devant l’Union nationale. D’une envergure intellectuelle indiscutable, son essai intitulé Pour une politique est devenu le programme de la Révolution tranquille. Quand le moment est venu de récolter le fruit de son labeur, les militants libéraux lui ont cependant préféré Jean Lesage. Le rôle de l’agneau sacrificiel ne conviendrait pas du tout à Mme Rizqy.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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