L’adulte dans la classe

Je suis parent d’élèves depuis 22 ans. Non, je n’ai pas, à l’instar de certaines de nos aïeules, eu 18 enfants, seulement trois, mais avec plusieurs années d’écart. Mon aîné entrait à la maternelle en 2001 et cette année ma cadette rentrait en 5e année du primaire. Je connais donc bien l’effervescence de la rentrée qui nous occupe ces jours-ci.

Cela ne m’a pas empêchée de sursauter à la mi-août quand le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, devant les chiffres alarmants quant à l’embauche de professeurs et des postes à combler dans les écoles du Québec, a eu cette phrase pour le moins étrange : « L’objectif, c’est d’avoir un adulte » dans chaque classe.

Un adulte ! J’espère bien ! On ne va quand même pas confier nos enfants à des enfants ! Bon nombre d’entre eux viennent déjà de passer l’été avec Guimauve, Noisette et Baluchon, des adolescents motivés, joueurs et parfaitement qualifiés pour mettre de la crème solaire, apprendre des comptines, jouer dans les jeux d’eau et veiller à la sécurité générale des petits vacanciers.

Malgré tout mon respect et mon admiration pour les moniteurs et monitrices de camps de jour, la conjugaison, le calcul de l’aire d’un disque, ou la fondation de Ville-Marie sont des connaissances à transmettre qui demandent des outils pédagogiques.

Et même si un jour Noisette devient professeur de 5e année, parce que sa foi en l’avenir et son amour des enfants ne se seront pas taris d’ici là, pour l’instant, sa bonne volonté ne suffit pas. Il lui faudra encore quelques années de formation et de stage pour y arriver.

De toute éternité, la rentrée vient avec un chapelet de « qui », de « j’aimerais » et de « j’espère ». Qui sera mon prof ? J’aimerais tellement avoir Madame Lise, ou Patrice, ou Lucie, ou Tewfik. Mes amis seront-ils dans ma classe ? J’espère que le nouveau prof d’éducation physique va être aussi cool que l’ancien. Il paraît que la nouvelle directrice est toute petite et que les sixièmes années la dépassent. Je vais mourir si c’est encore la même prof d’anglais.

J’ai entendu ces phrases des centaines de fois. Des souhaits exprimés en forme de questions lancinantes. Des craintes qui sonnent comme des boutades, parfois comme des petites fins du monde. Je me souviens de les avoir moi-même prononcées, enfant.

La rentrée, c’est un rendez-vous avec l’inconnu, mais dans un décor que l’on connaît par coeur.

Pour nous, parents, les inquiétudes aussi sont nombreuses les premières semaines, car ce sont souvent ces questions qui nous permettent de prédire de quoi sera faite la suite. Mon petit bavard sera-t-il pris en grippe par son enseignante ou vont-ils s’entendre comme larrons en foire ? J’espère qu’il n’y aura pas trop d’exposés oraux, mon deuxième est terrorisé à chaque fois. Pourvu que l’orthopédagogue soit plus souvent disponible que l’an passé. Si jamais c’est une forme de dyscalculie, est-ce que quelqu’un va pouvoir le détecter et nous orienter ? Est-ce que la super éducatrice en service de garde va avoir fini son congé maternité ?

Une année scolaire, ce n’est pas juste 180 jours de gardiennage aux frais de l’État, c’est déterminant dans la vie de millions de Québécois, parents, enfants, enseignantes, membres du personnel, etc. C’est une microsociété qui s’organise autour d’un projet commun : notre avenir.

Mais cette année, il n’y a pas vraiment d’espace pour ces questions. Les seules questions qui occupent nos têtes concernent l’adulte dans la classe. Aura-t-il l’énergie, les moyens, la formation et le soutien nécessaires pour donner à nos enfants les outils de leur émancipation ? Tiendra-t-il le coup ? Parce que, depuis quelques années déjà, les signes sont alarmants. On manque de personnel. Partout, tout le temps.

À quel moment avons-nous pensé qu’il y aurait toujours des gens bien intentionnés pour venir éduquer nos rejetons ? À quel moment avons-nous tenu pour acquis qu’il s’agissait d’une vocation si profonde que malgré des conditions de travail de plus en plus difficiles, il y aurait toujours une foule de profs qualifiés et dévoués qui se bousculeraient pour soutenir l’école publique ?

Je ne vous parle même pas de l’état de délabrement de certains bâtiments scolaires. Ce sujet à lui seul mériterait une autre chronique. Non, je vous parle du travail du ministère de l’Éducation, qui, à mon sens, est l’un des plus importants de notre société. Ce ministère devrait avoir un budget à la hauteur de son rôle crucial dans l’avenir de notre peuple. De l’éducation découle tout le reste. C’est le nerf de la guerre. Une société plus éduquée est plus riche, plus en santé, plus écologique, plus résiliente.

« L’Éducation n’est pas une dépense, mais un investissement. » Il me semble que j’ai entendu cette phrase des centaines de fois, mais force est d’admettre que de la dire et la redire ne suffit plus.

Monsieur le ministre, nous en sommes au point où il y a bel et bien un adulte dans la classe. Bravo. Mais ce n’est pas suffisant. Avoir un adulte dans la classe ne donne pas la note de passage. Dans une société riche et développée comme la nôtre, c’est un échec lamentable. Pas uniquement le vôtre, mais celui de tous ceux qui vous ont précédé à ce poste névralgique. Il va falloir qu’on vous fasse redoubler. Redoubler d’efforts, redoubler de moyens, redoubler d’ambition pour que notre école soit à la hauteur de notre potentiel collectif.

Je suis parent d’élève depuis 22 ans, disais-je, et cette année a été la première année où je me suis demandé, pour vrai, si c’est moi qui devrais aller enseigner dans une de ces classes orphelines. Je n’ai aucune qualification, probablement pas assez de patience, mais je suis une adulte, si ça peut vous rassurer.

Surtout, je suis pétrie d’inquiétude pour l’avenir de nos enfants. Contrairement à la politique dont le sort se joue tous les quatre ans, leur avenir, lui, se construit chaque jour et pour toujours.

Salomé Corbo est comédienne, improvisatrice, autrice et citoyenne du mieux qu’elle peut.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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