Les feux de cet été, la pointe de l’iceberg fondant

L’été 2023 aura assurément marqué les esprits. Non seulement il fut celui de tous les records climatiques à l’échelle mondiale — ceux des températures quotidiennes et mensuelles les plus élevées, ainsi que celles de la surface des océans —, mais, plus près de nous, la moitié des provinces et territoires du Canada ont tour à tour dû combattre des flammes destructrices ou des inondations dévastatrices.

Les Territoires du Nord-Ouest ont beau être les derniers en lice à avoir vu leurs terres ravagées par le feu, la colère et le désespoir de leur première ministre, Caroline Cochrane, n’ont pas laissé de glace, bien au contraire. Son cri du coeur doit servir d’avertissement.

Elle-même forcée d’évacuer la capitale Yellowknife, Mme Cochrane s’est présentée accablée devant les caméras la semaine dernière. La première ministre n’était plus exaspérée de réclamer sans cesse l’aide d’Ottawa, mais carrément « furieuse » d’avoir vu ses concitoyens tenter de fuir le territoire par l’unique route reliant Yellowknife à l’Alberta. Que des dizaines de milliers d’évacués aient pu déguerpir en empruntant à la queue leu leu cette autoroute enveloppée de fumée relève d’un miracle sur lequel ils n’auraient pas dû avoir à compter.

Mme Cochrane déplorait également un réseau Internet et cellulaire chancelant, pourtant essentiel lorsque vient le moment d’alerter prestement de l’approche du danger. Pas moins de 40 % des ménages des régions rurales et éloignées du Canada n’avaient toujours pas accès à un réseau Internet haute vitesse en 2021, 57 % dans les réserves des Premières Nations, notait la vérificatrice générale au printemps. Ce qui fait dire à Caroline Cochrane que les Ténois, les résidents de son territoire, méritent mieux. Soit des infrastructures équivalentes à celles du reste du Canada.

Les budgets d’adaptation aux changements climatiques du gouvernement fédéral et des provinces sont déjà insuffisants. Voilà que la facture vient d’exploser, lorsque l’on constate qu’il faut non seulement reconstruire maintes infrastructures, mais aussi en construire là où il n’y en a toujours pas.

Le fédéral chiffre à plus de 6,5 milliards de dollars ses investissements en adaptation au climat depuis huit ans. À Québec, le plan de mise en oeuvre du Plan pour une économie verte portait la contribution à 1,5 milliard de dollars pour les cinq prochaines années. Or, à elles seules, les municipalités du Canada évaluent leurs besoins en adaptation climatique à 5,3 milliards de dollars… par année. D’ici 30 ans, ce sera 2 milliards par an au Québec uniquement, selon une étude commandée par l’Union des municipalités du Québec.

Le manque à gagner est criant. Et ce, alors que l’alarme incendie a cessé de sonner et que le feu est désormais à nos portes.

Au chapitre des records, plus de 15 millions d’hectares de forêt ont à ce jour brûlé au Canada cet été (plus de 5 millions au Québec). C’est six fois plus que la moyenne des 10 dernières années. Et une part importante de ces boisés présente des « risques élevés de mauvaise régénération » — 290 000 hectares au Québec, révélait une analyse obtenue par Le Devoir. La forêt peine désormais à capter le carbone de la planète. Pire, elle en émet maintenant elle-même. Le point de non-retour semble bel et bien avoir été atteint.

« L’été qui s’achève sera le meilleur été dont nous nous souviendrons pour le reste de nos vies », a prévenu la cheffe du Parti vert, Elizabeth May. Son catastrophisme habituel semble soudainement moins démesuré.

Malgré toutes ces données et ces feux qui ne cessent de brûler, certains, comme la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, persistent à refuser de reconnaître que le réchauffement climatique exacerbe les catastrophes des dernières années. Qu’un rapport externe sur les feux de Fort McMurray, dans sa propre province, ait prévenu dès 2017 que « le changement climatique devrait contribuer à une augmentation de la fréquence des feux de forêt » ne l’a visiblement pas convaincue.

Ces climatosceptiques tenaces demeurent une minorité, bien heureusement (quoiqu’ils représentent tout de même 33 % des Canadiens, selon Angus Reid). Une part importante de la majorité résiste encore toutefois aux efforts d’adaptation nécessaires. Celle-ci passera par l’adaptation de nos comportements individuels, mais aussi de nos villes, de nos routes, de nos réseaux électriques, du reboisement de nos forêts. Il y va de l’avenir de notre sécurité, ainsi que de celle de la génération de demain.

L’inaction ne réglera rien. Ni pour la planète ni pour les gouvernements qui seraient tentés de s’enliser dans leur sous-financement. Le fédéral prédit déjà que les catastrophes, qui ne cessent de se multiplier, pourraient entraîner d’ici la fin de la présente décennie des pertes moyennes de 15,4 milliards de dollars par année.

L’heure est au rattrapage financier, car l’ampleur de ces défis vient de gonfler.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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