À Québec, le tramway face à une opposition houleuse

À Québec, le tramway échauffe les esprits au point de brûler quelques têtes.
Photo: Renaud Philippe Le Devoir À Québec, le tramway échauffe les esprits au point de brûler quelques têtes.

À Québec, le tramway échauffe les esprits au point de brûler quelques têtes. Injures et doigt d’honneur ont fusé avant même l’adoption de l’ordre du jour, jeudi soir, lors d’une assemblée publique portant sur le projet.

La police a même dû expulser un quinquagénaire dont l’opposition au tramway était visiblement majeure, puisque c’est précisément avec ce doigt qu’il a décidé de la manifester à une élue de la Ville.

« Ce n’est pas une démocratie, vous êtes une ordure, une complice ! » a hurlé l’homme à l’endroit de la conseillère Maude Mercier Larouche, responsable de promouvoir le tramway dans le cadre de ces séances d’information publiques.

L’individu n’en était pas à son premier esclandre. La sécurité l’avait escorté à l’extérieur d’une séance du conseil municipal il y a quelques semaines, là encore pour avoir balancé des insultes à l’endroit d’élus. L’homme se montre particulièrement acharné à l’endroit de la conseillère Mercier Larouche, à qui il s’en prend fréquemment et sans politesse sur les réseaux sociaux. Son fait d’armes de jeudi lui vaut deux constats d’infraction, un premier pour injure, un autre pour désordre.

La bougie d’allumage du disgracieux épisode : l’adoption prochaine d’un règlement municipal qui doit permettre à la Ville, dans sa forme actuelle, de déroger à certaines contraintes pour faciliter le déploiement du tramway. En vertu du règlement, elle n’aura pas à demander de permis pour déplacer un escalier, réaménager un stationnement ou relocaliser une enseigne, par exemple, à condition que « les travaux so[ient] essentiels à l’implantation du tramway ».

La rencontre de jeudi devait donner à la population l’occasion de s’exprimer sur le règlement. Elle a toutefois commencé par la présentation d’un diaporama explicatif du projet. C’en était trop pour la soixantaine de citoyens et de citoyennes réunis à l’ancien hôtel de ville de Sainte-Foy.

« Propagande ! » ont crié certains dans l’assistance. Une ancienne conseillère municipale de Québec, Anne Guérette, devenue une opposante notoire et virulente au tramway, a mené la fronde pour que le débat sur le règlement ait préséance sur la séance d’information.

Après 15 minutes, l’assemblée a accédé à sa demande. Après un début de soirée houleux, les échanges ont débuté. Les résidents ont défilé au micro en exprimant une impression qui semblait généralisée : tout est joué dans le tramway, et la population qui s’y oppose n’a aucune voix au chapitre.

Presto et réseaux sociaux

 

« La population, c’est comme un presto », souligne Catherine Trudelle, professeure au Département de géographie de l’UQAM, qui analyse depuis 20 ans les conflits qui naissent dans le sillage des grands projets d’urbanisme. « Si certains citoyens ont l’impression que l’information présentée est tronquée ou insuffisante, ils vont développer une méfiance. L’important, c’est la qualité, la véracité et la quantité d’informations transmises. »

La Ville donne toutefois l’heure juste par rapport au tramway, selon Mme Trudelle, une ancienne résidente de Québec. Quiconque s’y intéresse peut consulter gratuitement des dizaines de milliers de pages d’analyses et d’études disponibles sur le portail de l’Hôtel de Ville. Lors d’une rencontre en comité plénier de sept heures, il y a deux mois, l’ensemble des élus ont pu interroger les responsables du projet. Les exercices de consultation se multiplient, depuis quelques mois, pour que la population puisse se prononcer sur la façon dont elle souhaite voir le tramway s’intégrer au quartier.

La meilleure information n’empêche toutefois jamais la contestation, souligne la professeure de l’UQAM. « Il faut comprendre que les citoyens ont aussi leur mot à dire et qu’ils ont droit, idéalement, à plus que deux minutes au micro pour le faire. Les villes viennent poser des actes sur le territoire, et les gens doivent composer avec ça pendant des dizaines et des dizaines d’années. C’est normal que certains s’inquiètent des impacts sur leur milieu de vie. »

Les sacrifices imposés à certains citoyens pour faire place au tramway se déclinaient en plusieurs variantes jeudi soir. Les uns dénonçaient l’abattage d’arbres qui font le charme de leur quartier. Les autres, la perte d’éléments architecturaux « qu’ils bichonnent comme des malades » depuis longtemps.

« Vous venez chez nous, vous amputez tout, a clamé le propriétaire d’une maison centenaire dont l’imposant escalier devra passer à la trappe. C’est une violence que vous faites à ma santé. Vous ne pouvez pas savoir ce que vous faites comme ravage. Vous “scrapez” ma vie avec votre projet. »

« Vous n’aurez jamais, rappelle Catherine Trudelle, un projet qui suscite l’adhésion de 100 % de la population. Il y aura toujours des gens qui vont refuser des changements dans leur milieu, et c’est normal. C’est difficile, pour quelqu’un, de voir une ville modifier son terrain, sa rue ou son quartier. Les gens se disent : “pourquoi moi et pas les autres ?” »

Elle note toutefois que l’avènement des réseaux sociaux a rendu plus difficiles les échanges sereins autour des grands projets d’urbanisme. Les gens consomment l’information sur Internet, elle est souvent trompeuse et, pourtant, ils la considèrent « comme parole d’évangile ».

Jeudi soir, l’assemblée publique a finalement fait place à des échanges normaux entre le public et les élus. Un homme insatisfait de devoir céder la parole à une conseillère a dénoncé un relent de « communisme » : une gentillesse, presque, à côté des insultes gratuites et misogynes qu’un internaute lui destinait avec frénésie, pendant la soirée, dans le clavardage de l’assemblée…

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