La pauvreté plus difficile en région qu’en ville

La ville de Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord.
Olivier Zuida Le Devoir La ville de Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord.

Il en coûte beaucoup plus cher de se sortir de la pauvreté dans un petit village que dans les grands centres urbains du Québec.

S’il faut au moins 32 300 $ par année à une personne seule — et 71 200 $ à une famille de quatre — pour accéder à « un niveau de vie digne et sans pauvreté » à Montréal, ces seuils de « revenu viable » sont respectivement de 38 600 $ et de 78 600 $ à Sainte-Anne-des-Monts et de 45 500 $ et de 95 200 $ à Schefferville, rapporte l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) dans une étude qui doit être dévoilée jeudi.

Cet écart tient notamment à l’obligation d’avoir une voiture et au coût plus élevé de l’alimentation en région, des dépenses qui contrent l’avantage des logements (généralement) moins chers qu’en ville.

71 200 $
C’est le montant annuel dont a besoin une famille de quatre personnes pour accéder à « un niveau de vie digne et sans pauvreté » à Montréal.
78 600 $
C’est le montant annuel dont a besoin une famille de quatre personnes pour accéder à « un niveau de vie digne et sans pauvreté » à Sainte-Anne-des-Monts.
95 200 $
C’est le montant annuel dont a besoin une famille de quatre personnes pour accéder à « un niveau de vie digne et sans pauvreté » à Schefferville.

Le concept de « revenu viable » de l’IRIS va plus loin que la traditionnelle mesure du panier de consommation, mesure officielle de la pauvreté au Canada, qui équivaut au coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie modeste. Il s’agit ici d’estimer un revenu suffisant pour combler des besoins de base élargis et de dégager une marge de manoeuvre pour améliorer sa situation. Cette mesure se veut « un repère nécessaire, crédible et complémentaire à la mesure du panier de consommation pour l’analyse de la situation de pauvreté dans le continuum des revenus », rappelle l’auteur de l’étude, le sociologue Guillaume Tremblay-Boily.

L’IRIS calcule depuis 2017 le seuil de revenu viable dans les principaux centres urbains québécois, mais c’est la première fois qu’il étend son regard à de plus petites communautés excentrées. Pour cette première, on a étudié le cas de 33 localités situées dans sept territoires du Québec, dont trois de la Montérégie, trois MRC de la Côte-Nord, ainsi que la région de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine.


 

Dans presque tous les cas, le seuil de revenu viable se révèle plus élevé en région que dans les grands centres urbains, aussi bien pour les personnes seules que pour les familles monoparentales avec un enfant en CPE et les familles de deux adultes et deux enfants en CPE.

Cela vient notamment du coût de l’alimentation, notamment parce que les produits doivent être transportés sur de plus grandes distances, mais aussi parce qu’on a moins accès à des épiceries à grande surface et aux rabais offerts par leurs marques maison et leurs plus gros formats. Cela vient aussi du fait que les distances et l’absence de transport en commun obligent souvent à presque tout faire en voiture.

Il est vrai que les frais de logement sont généralement moins élevés en région que dans la métropole, mais la pression à la hausse s’observe maintenant un peu partout, avec un taux d’inoccupation qui frôle le 0 % dans certaines régions, dont la Gaspésie.

Une question de revenus aussi

 

D’un autre côté, plusieurs localités de régions éloignées comptent une proportion élevée de retraités et de travailleurs saisonniers, dont les revenus sont généralement plus modestes, observe l’IRIS. « Ces facteurs se conjuguent pour créer des situations où les revenus des résidents de ces communautés sont plus bas alors que le coût de la vie est plus élevé. »

Cela a pour conséquence que, « dans 25 des 33 localités étudiées, plus de la moitié des personnes qui habitent seules n’atteignent pas le revenu viable. [À l’inverse], dans la quasi-totalité des localités, le revenu médian des familles monoparentales et des couples avec enfants est au-dessus du revenu viable, mais parfois de très peu ».

Ces différences pourraient tenir aux transferts sociaux des gouvernements, qui se révèlent plus généreux pour les familles modestes avec de jeunes enfants, a avancé Guillaume Tremblay-Boily en entretien téléphonique au Devoir.

 

Dans ce contexte, une amélioration de la situation peut autant passer par les revenus que par les coûts, conclut l’IRIS. Dans le premier cas, on pourrait, par exemple, augmenter les salaires, les prestations d’aide sociale, les allocations familiales et les prestations d’assurance-emploi pour les travailleurs saisonniers. Dans le second cas, il y aurait lieu de mieux réglementer les hausses de loyer, de créer plus de logements sociaux, de mettre en place un programme universel d’alimentation scolaire ou d’encourager la mise en place de services de transport collectif.

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