«Avant l’heure mauve»: des fusils et des femmes

Le texte de Maude Bégin-Robitaille est un canevas où se révèlent tranquillement le fond bouillant de la mère, l’âme en quête de la fille et les craintes de la soeur, la droiture de la médecin, l’ambition de la femme du maire et les visées intimes de la hors-la-loi.
Maude Bégin-Robitaille Le texte de Maude Bégin-Robitaille est un canevas où se révèlent tranquillement le fond bouillant de la mère, l’âme en quête de la fille et les craintes de la soeur, la droiture de la médecin, l’ambition de la femme du maire et les visées intimes de la hors-la-loi.

On attend parfois beaucoup des oeuvres dites féministes ou de celles qui, fût-ce pour des raisons liées à la seule distribution, pourraient être étiquetées ainsi. Un tel horizon d’attente n’est pas foncièrement mauvais, si on y repère le signe d’une sensibilité contemporaine qui commence à croire qu’un tel angle sait être porteur de réelles percées.

Avant l’heure mauve présente d’emblée cette caractéristique saillante d’une distribution toute féminine (Catherine Côté, Sophie Dion, Odile Gagné-Roy, Érika Gagnon, Marie-Hélène Lalande et Angélique Patterson), à l’exception du « général » (Nicolas Létourneau). Le spectacle, surtout, affiche une ambition manifeste : son désir de basculer les codes d’un genre historiquement porté par des comédiens, à lui seul, oriente pareil horizon.

Mais d’abord, il convient de retracer le récit bricolé par la jeune romancière Maude Bégin-Robitaille, qui d’emblée colle aux codes d’un western traditionnel. Ranch et bétail, plaine désertique, bandits : tous les éléments y sont. Sans oublier la poussière, les rudes conditions de vie et les fusils à portée de main, alors que la guerre fait rage dans l’arrière-pays. Dans la grange de Margot Hudson, la fortune du hasard réunira six femmes appelées, certaines malgré elles, à déterminer le sort du général. Le huis clos, ici, agira comme le dispositif central forçant les positions à se révéler, les alliances à se faire et se défaire, les affrontements à éclater.

Car l’heure mauve, c’est celle du retour des soldats. L’horizon indépassable qui accule les femmes devant la décision incontournable : faut-il oui ou non tuer l’otage ? Le texte de Bégin-Robitaille est ainsi un canevas où se révèlent tranquillement le fond bouillant de la mère, l’âme en quête de la fille et les craintes de la soeur, la droiture de la médecin, l’ambition de la femme du maire et les visées intimes de la hors-la-loi.

La multiplication des voix

 

Or si les lignes se précisent, à travers mensonges et duplicités, si les composantes du western sont à leur place et que la logique générale se déploie rondement, le spectacle nous laissera néanmoins loin des personnages et du récit.

Cette distance ne dit rien de la distribution, intense, ni de la façon dont la mise en scène fond les éléments en un seul pain. Le plateau est riche, à commencer par le décor généreux de Gabriel Cloutier-Tremblay, doublé des costumes d’Emilie Potvin et des lumières ciselées entre les planches de Keven Dubois. À la conception musicale, Yana Ouellet joue de codes reconnaissables, aux notes toutefois engageantes.

Malgré cette facture enveloppante, l’éclatement du récit et sa violence relâchée pourront faire l’effet d’une mécanique qui, de parfaitement se refermer sur les personnages, n’apparaîtra pas moins dans une certaine distance, dans ce récit pour six comédiennes qui, s’il ne réinvente pas le genre, gardera néanmoins le mérite des écueils qu’il s’est évités.

Certes, la colère des femmes gronde. La maternité, les impératifs du rôle féminin et autres éléments critiques seront articulés au passage ; « les femmes » dont il est question ne constituent cependant pas un groupe homogène qu’on aurait trouvé à rassembler dans un discours, qu’il soit de colère ou de compassion. Avant l’heure mauve évite ainsi le piège d’une unification bienveillante ou lyrique de ses personnages, se limitant au travail de multiplier les points de vue, les voix.

Avant l’heure mauve

Texte : Maude Bégin-Robitaille Mise en scène : Marie-Hélène Lalande, avec Sophie Thibeault Avec Catherine Côté, Sophie Dion, Odile Gagné-Roy, Érika Gagnon, Marie-Hélène Lalande, Nicolas Létourneau et Angélique Patterson. Une production Théâtre À pleins poumons. Au Périscope, jusqu’au 7 octobre

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