Une certaine idée de l’école

Les rentrées scolaires se ressemblent toutes. On dirait que chacun se donne le mot pour demander à l’école de régler tous ses problèmes. Ici, on réclame des toilettes mixtes, ailleurs de porter l’abaya ou encore de pouvoir s’y faire désigner comme un « être non binaire ».

L’école a toujours été convoitée par les idéologues. C’est plus que jamais le cas aujourd’hui. On pourrait même dire qu’elle est devenue le déversoir de tous nos fantasmes. Pour ne pas dire le cimetière de ces promesses que nos dirigeants peinent à concrétiser et que, faute de mieux, ils refilent à l’école. Or, toutes ces revendications concernent-elles véritablement l’école ?

Pour répondre à cette question, il faut se rappeler que nous avons sorti la religion des écoles parce que nous vivons dans des sociétés pluralistes où la religion ne fait plus consensus. Tant que nous étions pratiquement tous catholiques, il n’y avait guère de problème. Le jour où de plus en plus d’autres religions sont apparues, il a fallu organiser la cohabitation. Face à des cohortes d’athées et d’agnostiques, la simple tolérance ne suffisait plus, il a fallu inventer la laïcité.

Aujourd’hui, il existe des écoles catholiques et c’est fort bien. À elles d’enseigner le catéchisme aux enfants dont les parents le souhaitent. À l’école publique, par contre, d’enseigner l’histoire de ce catholicisme comme constituante essentielle et fondamentale de la société québécoise. Ce qui devrait d’ailleurs se faire dans des cours d’histoire dignes de ce nom.

Il aura fallu des décennies pour laïciser les écoles québécoises et en extraire l’enseignement du catéchisme. Mais avons-nous fait tout cela pour remplacer la religion par un nouveau catéchisme écologiste, féministe, woke, trans, LGBT ou quoi encore ?

Non seulement l’école devrait se tenir loin de toutes ces idéologies, mais elle devrait « rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas », comme l’écrivait l’ancien résistant Jean Zay, qui fut aussi, en France, ministre de l’Éducation nationale. Voilà ce qui devrait nous inspirer en cette rentrée scolaire. En d’autres mots, les sujets controversés qui font l’objet de polémiques normales dans une société n’ont guère leur place à l’école, qui devrait être considérée comme un sanctuaire à l’abri des modes intellectuelles et idéologiques.

Ainsi en va-t-il de ce qu’on nomme la « théorie du genre ». Comme me le rappelait un ami médecin, la science a depuis longtemps établi que le sexe est d’abord une donnée biologique inaltérable définie par l’ADN sur laquelle se greffe une construction sociale et culturelle héritée de l’histoire. Avant de mettre à bas ce que tous les homo sapiens ont pensé avant nous au profit d’une théorie qui professe que le sexe est une pure construction intellectuelle dont chacun pourrait décider à loisir à chaque instant de sa vie, peut-être faudrait-il y réfléchir à deux fois.

Si cette « théorie » a sa place sur les tribunes médiatiques, elle devrait être exclue de l’école. Justement parce que, contrairement à ce qu’enseigne la biologie, elle n’est aujourd’hui qu’une simple théorie, largement contestée parmi des centaines d’autres, et rien de plus. Agir autrement reviendrait à transformer l’école en foyer de guerre civile.

Pour l’instant, sur ces questions, les professeurs ont donc le devoir de mettre leurs convictions de côté, de même que leurs problèmes d’identité qui ne concernent pas l’école. De quel droit en effet une institution comme l’école s’amuserait-elle à appeler des élèves ou des professeurs du nom qu’ils désirent ? Dans un État normal, et encore plus pour un employé de ce même État, le nom et le sexe de chacun ne sauraient être que ceux qui sont inscrits à l’état civil.

Les enseignants ne sont pas des travailleurs sociaux. Ils n’ont pour mission ni de réaliser l’égalité sur Terre ni de soigner la Terre entière, mais d’instruire au mieux nos enfants en les traitant de la manière la plus égalitaire possible. Pour cela, une certaine indifférenciation, un certain détachement, une certaine position de surplomb sont nécessaires.

Quant à l’élève, il doit laisser à la porte de l’école non seulement ses croyances religieuses, mais une grande partie de ce qu’on nomme aujourd’hui pompeusement son « identité ». Car l’école est justement ce lieu qui doit lui permettre de se libérer de lui-même pour mieux se comprendre par la suite et surtout comprendre le monde. Loin du nombrilisme et des petits problèmes individuels, l’école devrait être le lieu du détachement de soi et de l’ouverture, deux attitudes nécessaires pour se rendre disponible au savoir. Ce n’est pas un hasard si le grec scholè signifie « temps libre ». Ce « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde », disait Pierre Bourdieu.

Il ne s’agit pas de nier les problèmes d’identité de certains, mais l’école n’est là ni pour traiter ces problèmes ni pour changer le monde. Au contraire, elle est là pour en assurer la transmission. Hannah Arendt le disait en d’autres mots. Selon elle, la fonction de l’école était d’instruire les nouveaux venus sur cette Terre et de « les préparer à la tâche de renouveler un monde commun ». Elle parlait bien d’un « monde commun », pas d’un monde éclaté ! Cela ne saurait se faire que loin des fureurs du monde.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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