Moderniser le rapport entre propriétaire et locataire

Appliquer des contrôles sur le marché pour le réguler peut aider à rééquilibrer le rapport propriétaire / locataire, fait valoir l’auteur.
Michaël Monnier archives Le Devoir Appliquer des contrôles sur le marché pour le réguler peut aider à rééquilibrer le rapport propriétaire / locataire, fait valoir l’auteur.

Sous le régime actuel, le travailleur peut être encouragé à devenir entrepreneur, l’employé à devenir gestionnaire. La mobilité entre ces positions est possible selon des conditions liées aux dispositifs de mobilité sociale inscrits à même le régime. Au Québec, changer de position dans le rapport social de gestion suppose que la personne dispose de ressources symboliques appropriées sous forme de capital social et culturel. L’éducation ouvre cette possibilité.

Le système d’éducation, menant aux techniques et aux professions distribue de telles ressources, qui sont susceptibles d’être converties en position dans le champ du travail. Le déplacement dans les rapports sociaux du champ travail peut être encouragé et réalisé. Il est plus difficile de transformer un rapport social, autrement dit de changer le cadre hiérarchique dans lequel les égalités et les inégalités se jouent entre les personnes qui occupent des positions différentes.

Transformer le rapport social de travail veut dire accorder une part plus importante du profit de l’entreprise aux personnes qui y travaillent, limiter l’exercice de l’autorité des gestionnaires et des propriétaires, constituer des recours contre les traitements abusifs d’employés et d’autres choses aussi, pour favoriser l’égalité et la dignité dans les relations de travail. Dans certains cas, la parité entre les positions est atteinte et la démocratie est instaurée dans l’organisation. Une voie de modernisation est ainsi balisée.

Passons au champ de l’habitabilité. Des droits définissent la propriété (dont les sources sont anciennes en Occident) et en font une sorte de chasse gardée du propriétaire. La propriété ainsi conçue combine un droit sur la chose (par exemple une maison ou un logement) et un droit de non-ingérence par d’autres. Pour le propriétaire, la propriété est sienne. Cette propriété est conçue sur la base d’un refus des droits que d’autres pourraient faire valoir sur cette propriété.

Déséquilibre

 

Sous ce régime, le rapport social propriétaire/locataire tend à se figer dans un déséquilibre qui avantage le propriétaire. L’aménagement de ce rapport est préservé en favorisant des inégalités entre locataire et propriétaire. Le gouvernement peut favoriser le passage de locataire à propriétaire en élaborant un dispositif d’abordabilité, accessible à certaines personnes. La nouvelle classe moyenne faite de techniciens et de professionnels moins fortunés est visée par un tel dispositif.

Sous ce régime et ce gouvernement, l’option transformative de ce rapport social est tenue à distance. Transformer un rapport social veut dire rééquilibrer le rapport de pouvoir et de savoir entre les deux parties. Les relations de propriété seraient alors réexaminées et changées dans un espace public ouvert aux intelligences citoyennes et à l’imagination politique. Par exemple, un loyer pourrait être considéré comme un apport à la propriété, un droit d’ingérence dans une propriété trop absolue.

Sous l’angle du déséquilibre dans ce rapport social, la pauvreté serait un manque de droit et de savoir. Moderniser la société québécoise a voulu dire transformer les rapports sociaux dans les champs de la parenté, de la scolarité, du travail. L’accès égalitaire est une préoccupation liée à la modernité politique. Des jeux d’égalité entre positions deviennent possibles quand les ressources symboliques sont plus égales. Le problème soulevé ici a trait à la modernisation des rapports sociaux de propriété.

Dans le champ de l’habitabilité, la propriété immobilière peut prendre différentes formes au Québec : organisme public, compagnie privée, coopérative d’habitation, résidence pour aînés, individu. Les propriétaires d’immeubles ne sont ni unifiés, ni univoques. Ils sont une minorité en rapport à la majorité formée par les locataires et les résidents. Si moderniser veut dire changer l’état d’une société pour que tout aille mieux, alors il est souhaitable que les relations de propriété soient remises en question.

Le rapport propriétaire/locataire est touché par le marché immobilier haussier alors que les règles de ce marché tiennent peu compte des difficultés liées à la reproduction sociale éprouvée par une partie de la population. Sortir les logements du marché immobilier en les socialisant est un moyen de transformer le rapport en question, tout comme en construire hors marché. Appliquer des contrôles sur le marché pour le réguler (registre des loyers, hausse limitée) peut aider à rééquilibrer le rapport propriétaire/locataire.

Des organisations telles que l’Institut de recherche en économie contemporaine et l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques sont tout à fait aptes à informer des ministres, des députés, des maires, des conseillers et des fonctionnaires qui seraient moins au fait des enjeux et des orientations d’une telle modernisation en matière de logement. À moins que la situation soit bloquée par manque de courage politique. Il en faut pour rééquilibrer ce rapport social et intervenir sur un marché.

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