Des cas semi-urgents quittent l’urgence sans être vus

Au Québec, le manque de personnel sévit partout, tant dans les urgences que dans les unités d’hospitalisation, les CHSLD et les centres de réadaptation.
Graham Hughes Archives La Presse canadienne Au Québec, le manque de personnel sévit partout, tant dans les urgences que dans les unités d’hospitalisation, les CHSLD et les centres de réadaptation.

La saison de l’influenza n’a pas débuté, mais les urgences débordent déjà au Québec. Des médecins signalent que de plus en plus de patients, dont les problèmes sont semi-urgents, quittent l’hôpital sans avoir été vus par un médecin. Ces malades — jugés de « priorité 3 » sur une échelle de 1 à 5 — souffrent, par exemple, d’une douleur abdominale aiguë ou d’une douleur intermittente à la poitrine, mais ont des signes vitaux normaux lors du triage.

« C’est un nouveau phénomène et ça nous inquiète », dit la Dre Marie-Maud Couture, présidente du Regroupement des chefs d’urgence du Québec. Dans le passé, seuls des patients aux problèmes non urgents (priorité 4 ou 5) abandonnaient après de longues heures d’attente. « Les P3 sont des patients qui ont besoin de voir un médecin et qui auraient peut-être besoin d’être installés sur une civière », explique-t-elle.

Le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, le Dr Gilbert Boucher, affirme être préoccupé par cette tendance. Selon lui, les patients ayant une douleur à la poitrine « qui vient et qui part », qui souffrent parfois d’essoufflement et qui ont des signaux vitaux normaux au triage, doivent être vus par un médecin.

« C’est une douleur thoracique, alors il y a des maladies potentiellement dangereuses et mortelles, dit-il. D’un autre côté, ça se peut que ce soit un problème beaucoup plus bénin, comme de l’anxiété, du reflux ou des douleurs musculaires. Mais ces patients-là ne sont pas censés attendre trois ou quatre heures dans une salle d’attente. »

Depuis une dizaine de jours, la situation se corse dans les urgences québécoises. Le taux d’occupation sur civière était en moyenne de 131 % vendredi en après-midi à Montréal, de 155 % en Montérégie, de 160 % dans les Laurentides et de 158 % dans Lanaudière, selon le site Index Santé. Il avoisinait les 180 % à Pierre-Boucher, à Longueuil, à l’Hôtel-Dieu de Sorel et à Anna-Laberge, à Châteauguay. Il dépassait les 200 % au Royal Victoria et à l’Hôpital général juif, à Montréal.

« Il faut reconnaître qu’il y a une crise dans les urgences au Canada, et particulièrement au Québec », dit la Dre Judy Morris, présidente de l’Association des médecins d’urgence du Québec.

La Dre Morris siège au conseil d’administration de l’Association canadienne des médecins d’urgence (ACMU), qui a rendu public mardi un rapport sur la situation des urgences au pays. L’ACMU y sonne l’alarme : la congestion hospitalière et les fermetures de services d’urgence posent « des risques importants » pour les soins et la sécurité des patients.

Le regroupement demande aux gouvernements fédéral et provinciaux de reconnaître la « crise » actuelle. L’ACMU a rencontré cette semaine à Toronto les sous-ministres de la Santé des provinces et des territoires — dont Daniel Paré et Daniel Desharnais, du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec — afin de les sensibiliser à la question et de leur faire des recommandations. Selon l’Association, les ministres de la Santé doivent notamment « responsabiliser » les établissements du réseau et exiger que les urgences des hôpitaux atteignent des taux d’occupation sur civière de 85 % en moyenne.

Des mesures non appliquées

Au Québec, la crise dans les urgences perdure malgré la mise en place l’automne dernier d’un groupe d’experts chargé de trouver des solutions au problème, signalent des médecins. « On sait que le ministère est en action et que le ministre regarde régulièrement l’état de la situation dans les urgences et le réseau, dit la Dre Couture. Mais le problème de congestion hospitalière n’a jamais été aussi grand que maintenant, malgré toutes les démarches qui ont été faites. Il y a une certaine inertie dans l’avancement de [la question de] la fluidité hospitalière. »

Selon la Dre Morris, les hôpitaux n’ont pas tous mis en place des protocoles de surcapacité, comme l’a recommandé la cellule de crise formée par le gouvernement. Lorsque l’urgence déborde, des patients devraient être transférés dans des unités d’hospitalisation aux étages afin de « répartir la pression », rappelle-t-elle.

La pénurie de personnel ne facilite toutefois pas la mise en place de ces initiatives, reconnaît la Dre Morris. Le manque de personnel sévit partout, tant dans les urgences que dans les unités d’hospitalisation, les CHSLD et les centres de réadaptation. « C’est certain que ça fait mal », dit-elle.

Depuis quelques semaines, le Québec enregistre un taux élevé d’usagers demeurant hospitalisés, mais ne requérant plus de soins hospitaliers : 14 % (la cible gouvernementale est de 8 %). Ces personnes — souvent des aînés — sont en attente d’une place en CHSLD ou en centre de réadaptation, entre autres. Résultat : des malades demeurent coincés aux urgences, faute de lits disponibles aux étages. À ce problème s’ajoutent une hausse de l’achalandage aux urgences et l’augmentation du nombre de patients atteints de la COVID-19, observent les médecins consultés.

Malgré tout, la fluidité hospitalière s’est améliorée dans les urgences dans la dernière année, selon le Dr Gilbert Boucher, qui fait partie de la cellule de crise formée par le gouvernement. « Il y a encore des problèmes, admet-il. Mais, comparativement à il y a un an, il y a beaucoup plus d’équipes de fluidité hospitalière dans les établissements : de coordonnateurs médicaux à l’hospitalisation, de coordonnateurs médicaux à l’urgence, de gens qui suivent les statistiques [de performance]. »

Selon le Dr Boucher, le nombre de patients sur civière pendant 24 ou 48 heures a aussi diminué par rapport à l’an passé. Mais sur le terrain, les soignants ont toujours l’impression de marcher sur un fil, remarque-t-il. « La plupart des urgences commencent avec un déficit d’infirmières à chaque quart de travail, précise-t-il. Il n’y a pas grand monde qui commence avec 100 % du personnel. »

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