Le pape entame à Marseille une visite très politique

Le pape François était assis dans la papemobile sur la place Saint-Pierre, au Vatican, mercredi, deux jours avant son séjour à Marseille.
Tiziana Fabi Agence France-Presse Le pape François était assis dans la papemobile sur la place Saint-Pierre, au Vatican, mercredi, deux jours avant son séjour à Marseille.

Une semaine après le débarquement massif de près de 10 000 migrants à Lampedusa, la visite de 26 heures qu’entamera le pape François vendredi à Marseille risque de ne pas passer inaperçue. Non seulement le pape avait lancé au mois d’août qu’il venait « à Marseille, mais pas en France » — une façon jugée pour le moins cavalière à Paris de déclarer qu’il ne souhaitait pas y faire de visite officielle —, mais voilà ensuite qu’il ne fait pas secret de venir y parler d’abord et avant tout d’immigration, un sujet on ne peut plus polémique en cette année d’élections européennes.

François arrivera vendredi dans une ville qui croule depuis longtemps sous les problèmes d’intégration et où les règlements de comptes entre bandes rivales et caïds de la drogue ont fait une quarantaine de morts depuis le début de l’année.

Officiellement, le pape se rend à Marseille afin de participer aux Rencontres méditerranéennes organisées par le diocèse entre des évêques et des jeunes du pourtour méditerranéen. Pourtant, tout comme son premier déplacement à Lampedusa sitôt élu en 2013, ce voyage se veut on ne peut plus politique. Le pape ne s’en cache pas, l’accueil des migrants est devenu un thème récurrent de son pontificat. « La Méditerranée est un cimetière. Mais ce n’est pas le plus grand : le plus grand cimetière se trouve dans le nord de l’Afrique. C’est terrible. Voilà pourquoi je vais à Marseille », a-t-il déclaré sans détour. Un message qui fait écho à celui qu’il avait livré cette année lors de la Journée mondiale du migrant et du réfugié : « Migrer devrait toujours être un choix libre. »

Le pape en terrain difficile

 

Cette visite impromptue aurait-elle d’abord pour but de sermonner la France comme on le croit dans certains milieux ? Chose certaine, François arrivera vendredi dans un pays dont le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé cette semaine qu’il « n’accueillera pas de migrants qui viennent de Lampedusa ».

Pour démontrer sa détermination, dès son arrivée, le pape se rendra à Notre-Dame-de-la-Garde, la basilique qui surplombe la cité phocéenne, afin de prier devant la stèle dédiée aux marins et aux migrants « perdus en mer ». Outre la grande messe qui se tiendra samedi au stade-vélodrome devant des dizaines de milliers de fidèles, il rencontrera des migrants qui ont illégalement traversé les Alpes vers la France en passant par Briançon.

Avant son départ, le pape (qui est lui-même « fils d’immigrés ») a reconnu que ce n’était « pas un défi facile ». Mais, dit-il, « il doit être affronté ensemble, car il est crucial pour notre avenir à tous, qui ne sera bénéfique que s’il est construit sur la fraternité, en mettant au premier plan la dignité humaine et les personnes, surtout celles qui sont le plus dans le besoin ». Dans une entrevue à l’hebdomadaire Le Point, son bras droit en matière migratoire, le jésuite torontois Michael Czerny, qui sera du voyage, n’a pas hésité à associer directement le sort fait aux migrants à « une crucifixion moderne ».

Des propos qui ne risquent pas de faire l’unanimité en France. « Il y a une immigration irrégulière en Europe, en France et en Italie qu’il faut combattre, et ce n’est pas en accueillant plus de personnes qu’on va tarir un flux qui évidemment touche nos capacités d’intégration », a déclaré Gérald Darmanin. Dès que les migrants ont touché les côtes italiennes, la France comme l’Allemagne ont suspendu les accords de Schengen et rétabli leurs contrôles aux frontières.

En prononçant ces mots, le ministre de l’Intérieur avait certainement en tête le sondage publié la semaine précédente dans Le Figaro selon lequel 7 Français sur 10 souhaitent un renforcement de la répression contre l’immigration illégale. Au menu : l’inscription des étrangers menacés d’expulsion au fichier des personnes recherchées (82 %), l’obligation pour les demandeurs d’asile de formuler leur demande d’accueil dans leur pays d’origine ou un pays tiers (73 %) et la possibilité de tenir un référendum sur l’immigration (75 %).

Cette opinion est largement partagée par tous les représentants de la droite française et même du centre. Le pape « ne mesure pas ce à quoi nous sommes confrontés », déclarait sur BFM-TV la tête de liste aux élections européennes du parti d’extrême droite Reconquête, Marion Maréchal. Celle qui n’a jamais caché ses convictions catholiques s’est dite « en désaccord » avec le pape François. « Je trouve que le pape François n’a pas à faire de la politique et qu’il en fait trop », dit-elle.

François boude-t-il la France ?

On peut d’ailleurs se demander si le pape François ne boude pas volontairement la fille aînée de l’Église en refusant depuis dix ans toutes les invitations qui lui ont été adressées pour y faire une visite officielle. Depuis son élection en 2013, le pape n’est venu qu’une seule fois en France. Et encore, était-ce pour s’adresser au Parlement européen à Strasbourg. Il n’a d’ailleurs même pas visité la cathédrale. Tout le contraire du très francophile Benoît XVI, qui était venu à Paris en 2008 s’adresser au monde de la culture dans le somptueux collège des Bernardins. Ou encore Jean-Paul II, qui avait foulé la terre française à au moins cinq reprises. Ce qui ne l’avait pas empêché de demander crûment, en 1980 : « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? »

On sait qu’Emmanuel Macron a tenté à plusieurs reprises de vaincre cette indifférence papale, en promettant notamment, en 2018 devant la Conférence des évêques de France, de « réparer le lien » entre l’Église catholique et l’État. « Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, et qu’il vous importe à vous comme à moi de le réparer », avait-il expliqué aux évêques. En 2021, l’Élysée avait espéré un voyage à la Toussaint, puis en 2023 pour le 150e anniversaire de la naissance de sainte Thérèse de Lisieux. Chaque fois en vain !

Peut-être manque-t-il à Emmanuel Macron la bonhomie méditerranéenne de l’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline. C’est ce théologien de 64 ans d’origine pied-noir qui a su convaincre le pape de faire un saut à Marseille. Directeur un temps de l’Institut catholique de la Méditerranée — qui, à l’image de Charles de Foucauld et des moines de Tibhirine, prêche la rencontre entre catholiques et musulmans —, Aveline a su gagner l’oreille du pape, qu’il rencontre régulièrement. Ce qui n’empêche pas certains de ses détracteurs de le décrire, dans un portrait que dressait de lui le quotidien catholique La Croix, comme « la bien-pensance sympathique, qui s’ajuste opportunément à toutes les situations ».

Polémique chez les laïcs

 

Visite d’État ou pas, Emmanuel Macron, dont Marseille est la ville chérie, assistera avec son épouse Brigitte à la grande messe que le pape prononcera au stade-vélodrome. Ce que n’a pas manqué de lui reprocher l’ancien laïcard Jean-Luc Mélenchon. « Pas de cérémonie religieuse pour un élu en France », a écrit sur X le leader de La France insoumise, suivi de Fabien Roussel, du Parti communiste, selon qui « un président de la République n’a pas à manifester sa préférence pour une religion ».

Mélenchon et Roussel savent pourtant très bien que, même si aucun président n’a assisté à une messe papale depuis Valéry Giscard d’Estaing, il n’y a rien d’exceptionnel à ce qu’un président assiste à un office religieux dans le cadre de ses fonctions, que ce soit à l’occasion de funérailles ou de la rupture du jeûne chez les musulmans, par exemple. D’autant que le président a bien précisé qu’il ne ferait qu’assister à la messe sans participer à l’eucharistie.

Tous auront compris que, cinq siècles après la dernière venue d’un pape dans la cité phocéenne, le débat n’était plus vraiment là.

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