Le Québec ne patente plus comme avant

En 15 ans, le Québec est passé de la meilleure à la pire performance de rétention de la propriété intellectuelle parmi l’ensemble des pays du G7.
iStock En 15 ans, le Québec est passé de la meilleure à la pire performance de rétention de la propriété intellectuelle parmi l’ensemble des pays du G7.

On a souvent qualifié les Québécois dans leur sous-sol d’indécrottables « patenteux ». Or, l’expression ne tient plus. Le Québec est passé en 15 ans d’élève modèle à cancre du brevetage et de la propriété intellectuelle. Pis encore : la province perd aussi ses entreprises innovantes. Ça a de quoi inquiéter.

C’est en tout cas la réaction d’Éric N. Duhaime, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC). « C’est très préoccupant, dit-il. Nous avons développé une capacité d’innovation, mais on ne parvient pas à en profiter. Le Québec tend à demeurer une espèce de sous-traitant en innovation pour les grandes entreprises étrangères. »

À partir d’une analyse de la base de données du Bureau américain des brevets (USPTO), le chercheur québécois dit constater dans un rapport qu’il publie jeudi une dégringolade majeure des inventions brevetées au Québec et qui demeurent de propriété québécoise.

Ainsi, au début des années 2000, le Québec se démarquait par un grand nombre de brevets décrochés par des particuliers ou des entreprises d’ici. À l’époque, pour chaque brevet décroché au Québec par une société étrangère, deux brevets étaient obtenus par des intérêts locaux. Puis, à partir de 2006, la chute. En 2020, la proportion s’est plus qu’inversée : seulement 40 % des brevets dont l’inventeur est québécois sont détenus par des organisations québécoises.

En 15 ans, le Québec est passé de la meilleure à la pire performance de rétention de la propriété intellectuelle parmi l’ensemble des pays du G7. Et c’est surtout criant dans les secteurs technologiques.

Une fuite en deux temps

 

Une seconde forme d’exode nuit aussi à l’accroissement de la richesse collective québécoise : l’organisme observe une fuite des entreprises québécoises — ou à tout le moins de leur propriété. « Le bilan pour l’ensemble des entreprises est relativement équilibré, mais si on cible davantage les entreprises émergentes et technologiques, on voit un déséquilibre négatif », dit Éric N. Duhaime.

Au cours des 10 dernières années, les entreprises québécoises ont procédé à 47 opérations de fusion ou d’acquisition d’entreprises émergentes étrangères. Pendant ce temps, 58 entreprises émergentes du Québec ont été la cible d’une opération similaire de fusion ou d’acquisition par une entreprise établie à l’extérieur de la province. Ce bilan négatif est, lui aussi, particulièrement flagrant dans les secteurs technologiques, indique l’IREC.

Le gouvernement Legault devra prendre des notes : sa stratégie d’investissement en recherche-développement ne fait pas grand-chose pour corriger le problème, indique le chercheur de l’IREC dans son rapport. La tendance va à l’encontre des ambitions du premier ministre, qui souhaite accroître la richesse collective de la province, notamment à travers une plus grande rétention sur son territoire des cerveaux et des innovateurs.

« On ne tire pas pleinement profit de la chaîne de valeur en innovation, résume M. Duhaime. On a créé des emplois en innovation, on crée des nouvelles technologies, mais on ne retient pas ici toute la valeur créée. Et c’est un problème immense. »

À qui profite l’innovation ?

Québec a mis à jour au printemps 2022 sa stratégie quinquennale de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2 pour les intimes). L’encre sur ce document sèche à peine que, déjà, l’IREC en remet en question le bon fonctionnement. Son principal défaut : elle « reprend à son compte des mesures qui datent de plus de deux décennies », écrit l’institut.

Ces mesures sont la stimulation de la recherche-développement par des crédits d’impôt, les subventions octroyées au transfert au sein d’entreprises des inventions faites dans des institutions publiques et la consolidation du capital de risque suivant le modèle de la Silicon Valley, aux États-Unis.

Or, elles ne permettent pas de retenir au pays la propriété intellectuelle produite ici, dit l’IREC. En fait, elles favorisent les multinationales aux poches profondes, comme les fameuses GAGAM, plutôt que les PME et les jeunes entreprises sur lesquelles repose en bonne partie l’innovation économique québécoise.

L’IREC reproche également au gouvernement son incapacité à chiffrer concrètement l’impact de sa stratégie d’innovation. « Considérant l’ampleur des ressources et des efforts consacrés, il est consternant de constater qu’il n’existe pas de mécanisme officiel assurant la collecte systématique de données sur le transfert technologique à l’égard des universités et des centres de recherche publics au Québec », écrit Éric N. Duhaime.

Une solution existe toutefois pour renverser la tendance et redonner le goût aux Québécois de patenter : revoir l’encadrement de la propriété intellectuelle pour s’assurer que les centres publics de recherche — des universités, la plupart du temps — reçoivent une meilleure rétribution de la part des entreprises nées de leurs inventions. Cela pourrait prendre la forme d’une participation plus active dans leur capital-actions, suggère l’IREC. Ou, à l’inverse, plus de place pourrait être faite à la recherche scientifique ouverte, où l’innovation produite au Québec serait mise en commun, au bénéfice des entreprises d’ici.

« Ça nous permettrait de sortir de la logique actuelle d’accaparement et de contrôle technologiques qui ne bénéficie pas au Québec sur le long terme », conclut dans son rapport Éric N. Duhaime.

Bref, il faudrait probablement patenter ça autrement.

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