Prédire les risques de dépression

Caroline Chatelard
Collaboration spéciale
Pour son étude, Pierrich Plusquellec a ciblé l’une des causes moins connues de notre émotivité : la contagion émotionnelle.
Photo: Getty Images Pour son étude, Pierrich Plusquellec a ciblé l’une des causes moins connues de notre émotivité : la contagion émotionnelle.

Ce texte fait partie du cahier spécial Santé mentale

« On croit que les humains sont bien plus complexes qu’ils ne le sont en matière de comportement », glisse avec malice le professeur de l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal Pierrich Plusquellec. Ce spécialiste du comportement a réalisé avec son équipe une étude utilisant l’intelligence artificielle pour reconnaître et quantifier les émotions d’un individu afin de repérer des facteurs de risque de dépression.

« L’humain utilise des signes non verbaux d’émotion qui sont faciles à reconnaître », affirme Pierrich Plusquellec. Faciles, car universels. C’est ce qu’a démontré l’américain Paul Ekman, « l’un des grands psychologues de notre époque », comme le rappelle le M. Plusquellec. Ekman, non content d’avoir prouvé que l’expression faciale de nos émotions de base est commune à tous les peuples, a inventé aussi un système pour quantifier ces expressions, baptisé le Facial Action Coding System.

Ces outils de description servent d’ailleurs au travail de l’IA. « Les algorithmes vont apprendre à reconnaître les expressions faciales d’émotions grâce à des bases de données dans lesquelles ont été étiquetées manuellement des expressions, explique M. Plusquellec. La colère, ça ressemble à ça, la tristesse, ça ressemble à ça, etc., et les ordinateurs vont associer les caractéristiques qu’on leur indique, entre autres, les actions des muscles du visage, aux émotions de leurs bases de données. C’est un système très performant. »

Le système est si performant que, selon les derniers articles de presse scientifique, les algorithmes sont capables de reconnaître l’émotion exacte 8 fois sur 10, contre 6 à 9 fois sur 10 pour un humain, précise le professeur spécialiste du comportement.

L’émotion, ce virus

« Les premiers algorithmes sont arrivés dans les années 2010-2011 et maintenant, ils sont dans notre univers courant, dans chacun de nos téléphones, pour animer un animoji avec votre visage par exemple, et nous, nous nous sommes dit : “Pourquoi ne pas les utiliser pour autre chose qu’un usage ludique ? On pourrait l’utiliser pour aider les gens à prévenir les troubles de santé mentale, et en particulier les troubles émotionnels.” »

Pour son étude, Pierrich Plusquelleca ciblé l’une des causes moins connues de notre émotivité : la contagion émotionnelle. Comme son nom le laisse deviner, il s’agit de la transmission automatique et involontaire d’une émotion d’une personne à une autre. En soi, la contagion émotionnelle n’est pas négative, « on aime se faire contaminer émotionnellement au quotidien, quand on choisit de le faire », nuance le scientifique. Au cinéma, par exemple. C’est pourquoi les cobayes du professeur ont visionné des extraits de films choisis selon l’émotion qu’ils sont reconnus pour susciter pendant qu’une IA observait leurs réactions.

Des risques élevés chez les travailleurs sociaux

Quel rapport avec la dépression, nous direz-vous ? Il est dans l’intensité et la durée de nos réactions. C’est ce que le M. Plusquellec explique : « L’étude nous a montré que plus il y a de réactivité aux extraits de films et plus il y a un risque de dépression. » Autrement dit, plus on est perméable aux émotions des autres et plus on risque de se laisser influencer par les émotions négatives qu’ils peuvent nous transmettre.

Ce risque est d’autant plus grand pour les travailleurs sociaux qui sont témoins dans leur quotidien de la détresse des personnes qu’ils suivent. Une étude de 2004 de Darcy Clay Siebert démontre même qu’ils sont trois fois plus sujets à la dépression que le reste de la population. C’est la raison pour laquelle l’équipe du professeur a choisi des étudiants en psychoéducation pour participer à l’étude.

« L’idée était que les étudiants puissent prendre conscience de leur vulnérabilité et de leur perméabilité aux émotions, car la fiabilité des auto­évaluations qui existent repose sur la capacité de chacun à s’évaluer », détaille le chercheur. La solution première pour limiter les effets négatifs de la contagion émotionnelle est de rester attentif à ses propres émotions pour anticiper les interactions à risque et maîtriser ses réactions. « Une moins bonne capacité à revenir à un état neutre est aussi un marqueur de risque de dépression », ajoute-t-il.

Pour l’heure, l’étude ne permet pas d’établir un palier à partir duquel le risque de dépression devient sérieux. Un panel de cobayes beaucoup plus large serait nécessaire pour y parvenir, mais cette première expérience va permettre d’alimenter d’autres expériences pour, à terme, créer des outils éthiques et responsables de veille émotionnelle.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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