L’école primaire de Griffintown se fait toujours attendre

Il n’y a pas d’école publique primaire à Griffintown, et des familles déménagent ou songent à le faire lorsque leur enfant sera d’âge scolaire. Sur la photo, Étienne Le Nigen et Mathieu Prévost, deux pères membres du collectif Pour une école primaire à Griffintown.
Jacques Nadeau Le Devoir Il n’y a pas d’école publique primaire à Griffintown, et des familles déménagent ou songent à le faire lorsque leur enfant sera d’âge scolaire. Sur la photo, Étienne Le Nigen et Mathieu Prévost, deux pères membres du collectif Pour une école primaire à Griffintown.

On leur avait laissé entendre qu’ils auraient une école primaire pour la rentrée cet automne, mais des parents de Griffintown attendent encore après la première pelletée de terre et s’impatientent. Le terrain n’est toujours pas cédé, et un projet mixte d’école et de logements communautaires, annoncé en 2019, a finalement été abandonné.

« On nous dit partout que le dossier est étudié, mais on s’entend [sur le fait] qu’une cession de terrain ce n’est pas le problème du siècle », lâche Mathieu Prévost, père de deux jeunes enfants. Il n’y a pas d’école publique primaire à Griffintown, et des familles déménagent ou songent à le faire lorsque leur enfant sera d’âge scolaire. « On considère la possibilité de quitter le quartier, admet-il. Mais on pourrait peut-être rester si on avait une date. »

Les besoins sont réels dans le quartier et le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) planifie une école de 24 classes. « Je ne comprends pas pourquoi ça prend des mois à négocier », lance Étienne Le Nigen, qui milite depuis quelques années pour le projet. Sa fille va à l’école primaire De la Petite-Bourgogne, l’établissement public le plus proche dans l’arrondissement du Sud-Ouest, mais qui n’aura pas assez de places à long terme.

Les deux pères font partie du collectif Pour une école primaire à Griffintown, qui en réclame une depuis une dizaine d’années.

Bâtir son quartier en colère

En novembre 2019, ce qui était à l’époque la Commission scolaire de Montréal (CSDM), la Ville de Montréal, l’arrondissement du Sud-Ouest et l’entreprise d’économie sociale Bâtir son quartier annonçaient pourtant par voie de communiqué un projet « particulièrement innovant en matière de mutualisation des espaces ».

À la recherche d’un terrain pour la nouvelle école, la CSDM avait alors lancé un appel d’intérêt. Bâtir son quartier avait répondu présent, en proposant une construction mixte d’école et de logements communautaires sur un terrain où le développeur immobilier planifiait un projet. L’option a été retenue, pour une école d’une douzaine de classes. Ce qui aurait été une première à Montréal n’aura finalement pas lieu.

« On est déçus, laisse tomber la directrice générale de Bâtir son quartier, Édith Cyr. Nous avons commencé à travailler ensemble. Puis, au fur et à mesure, ils ont eu besoin d’un espace plus grand et se sont dit que ce serait plus simple de prendre tout le terrain. » Estimant que son organisme a été « tassé » après avoir invité le CSSDM sur le site, elle garde un goût amer de l’expérience. « Mettons que je vais y penser à deux fois avant de le refaire », confie-t-elle.

Dans une volonté de faciliter la construction d’écoles, Québec s’est donné le droit il y a quelques années de forcer les villes à céder des terrains aux centres de services scolaires (CSS). « La Ville a résisté un bon moment, parce que du logement communautaire était prévu », raconte Édith Cyr. Pas moins de 81 logements devaient voir le jour. Impossible pour Bâtir son quartier, dit-elle, de trouver un terrain ailleurs dans Griffintown.

« Les CSS ont le droit de l’exiger. Mais quand ils font ça et déplacent du logement communautaire, il devrait avoir la responsabilité de nous trouver un moyen pour qu’on ait une autre place, pour qu’on ne perde pas notre financement », poursuit-elle.

« Le CSS n’a pas volé de terrain », se défend Stéphane Chaput, directeur général adjoint des ressources matérielles au CSSDM. Il indique qu’en plus du projet initial qui ne répondait pas à tous les besoins en matière d’espace, le CSS ne pouvait pas se retrouver en situation de copropriété. « Pour un projet mixte, ça prendrait un projet-pilote, dit-il. Ce qui est ressorti de l’abandon du projet, c’est qu’on est en train de regarder comment on pourra à l’avenir réaliser ce type de projet avec tous les acteurs. » Un projet pilote permettrait « de construire l’avion en plein vol », de voir « où ça bloque dans la législation » et ainsi de trouver des solutions.

Le ministère de l’Éducation a pris une ordonnance en février 2022 à la Ville de Montréal pour qu’un terrain soit cédé, et la Ville a fait une proposition. Depuis, il y a des vérifications et des discussions qui s’étirent.

Un tel processus dans un secteur comme Griffintown, et pour un projet « qui sort un peu des sentiers battus », est « une procédure administrative qui est longue, mais normale », souligne Stéphane Chaput. « C’est plus facile quand nous ne sommes pas dans des zones hautement densifiées ». Les choses devraient ensuite débouler, assure-t-il. Une fois propriétaire du terrain, l’école pourrait ouvrir ses portes dans un délai de trois à quatre ans.

De son côté, le ministère souligne que « la densité du secteur et le nombre de terrains disponibles rendent la cession de terrain plus compliqué, afin qu’elle respecte les dimensions nécessaires à l’établissement d’une école et d’une cour d’école ». Le ministère attend par ailleurs un retour de la Ville de Montréal concernant la portion de terrain prévue pour l’aménagement de la cour d’école.

Entente à venir, dit Montréal

« On est à pied d’oeuvre », assure de son côté Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme au comité exécutif de la Ville. « Beaucoup de rencontres ont été tenues avec le CSS pour évaluer divers scénarios, si bien qu’on arrive tranquillement à une entente, dit-il, en assurant que la relation est bonne. On est dans les derniers milles pour la cession du terrain. »

Il prend le soin d’insister sur le fait qu’avec la nouvelle législation, les villes doivent céder gratuitement les terrains aux CSS et que les municipalités « se font refiler la facture » par Québec. Pour Montréal, cela représente une charge budgétaire importante, évaluée à 200 millions de dollars.

Le député de Québec solidaire dans Saint-Henri–Sainte-Anne, Guillaume Cliche-Rivard, a de son côté fait sa priorité de la construction d’une école primaire à Griffintown et a tenu plusieurs rencontres à ce sujet. « Les gens qui me contactent se sentent dans un no man’s land où on n’est pas capables d’avoir une école et de se brancher pour que ça ait lieu, dit-il. Je demande au ministre Drainville de mettre son poids politique pour que ça se fasse, on ne peut pas attendre encore deux ou trois ans avant que le projet soit officialisé. 

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