Des cégeps en manque de professeurs

En 18 ans de carrière, Christian Bernier, professeur de littérature au cégep de l’Outaouais, n’a jamais vu pareille situation toucher le Département de français.
Mike Carroccetto Le Devoir En 18 ans de carrière, Christian Bernier, professeur de littérature au cégep de l’Outaouais, n’a jamais vu pareille situation toucher le Département de français.

La difficulté de recruter des enseignants se fait sentir dans des cégeps du Québec. Certains sont encore à la recherche de professeurs, alors que l’année scolaire a débuté il y a quelques semaines, ce qui n’est pas sans répercussions sur les étudiants.

En 18 ans de carrière, Christian Bernier, professeur de littérature au cégep de l’Outaouais, n’a jamais vu pareille situation toucher le Département de français. Le comité de sélection est activement à la recherche d’un remplaçant étant donné qu’un enseignant a dû prendre congé juste avant la rentrée des classes.

« Le comité d’embauche se réunissait cette semaine et n’a pas trouvé de candidature satisfaisante. Si bien que, minimalement pour les deux prochaines semaines, c’est une prof à la retraite qui a très gentiment accepté de prendre la relève », explique celui qui est également président du Syndicat des enseignantes et des enseignants du cégep de l’Outaouais.

Dans un passé pas si lointain, le Département avait une banque de candidatures relativement bien garnie. Mais celle-ci a diminué depuis la pandémie, ce qui complique les choses, explique-t-il.

 

Près de 120 étudiants, donc quatre groupes, verront donc tous tourner quatre enseignants différents, calcule-t-il. « Ça crée beaucoup d’incertitude, d’inquiétude chez les étudiants », affirme celui qui a remplacé son collègue pour un cours, le temps qu’un professeur soit trouvé à plus long terme. Il craint que le manque de stabilité incite des étudiants à abandonner le cours. « La relation prof-étudiant est fondamentale. Ça ne s’installe pas dès le début, il y a beaucoup de rattrapage à faire lorsque le titulaire arrive en classe », rapporte-t-il.

« Un défi d’embauche »

Le recrutement a toujours été historiquement plus difficile dans des programmes techniques comme soins infirmiers, informatique ou génie. Mais, depuis quelques années, le phénomène s’est amplifié et s’observe aussi dans le secteur des sciences humaines et de la formation générale, selon différents intervenants que Le Devoir a contactés.

Au cégep de Sherbrooke, des comités de sélection sont actifs pour recruter en géographie, en économie et en anthropologie, rapporte le Syndicat du personnel enseignant du cégep de Sherbrooke. Cinq enseignants en philosophie sont notamment recherchés pour effectuer des remplacements à temps plein.

« Chaque année, il y a toujours quelques remplacements à faire à la dernière minute. Mais ce qui est particulier présentement, c’est que les précaires sur les listes ne sont pas disponibles parce qu’ils ont trouvé des emplois ailleurs », explique Évelyne Letendre, secrétaire générale du syndicat et enseignante de littérature.

Chaque année, il y a toujours quelques remplacements à faire à la dernière minute. Mais ce qui est particulier présentement, c’est que les précaires sur les listes ne sont pas disponibles parce qu’ils ont trouvé des emplois ailleurs.

Les enseignants du Département de philosophie du cégep se sont partagé les classes sans professeurs et ont donné deux premières heures de cours pour les étudiants arrivant du secondaire, le temps que le recrutement se fasse. Les heures d’enseignement annulées seront reprises plus tard dans la session lors d’une « semaine tampon », précise le syndicat.

Contacté par Le Devoir, le cégep de Sherbrooke précise que « la situation est sous contrôle » au Département de philosophie. « Les entrevues vont bon train, et tout devrait rentrer dans l’ordre cette semaine avec les candidatures reçues, écrit Joëlle Bouchard, conseillère en communication. Nous pensons même être en mesure de renflouer notre banque de candidatures pour les autres besoins à venir. »

La situation est moins problématique qu’au primaire et au secondaire, tempère de son côté la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN). Mais il y a « un défi d’embauche », « avec des indices qui pointent vers une amplification du problème », souligne Yves de Repentigny, vice-président du regroupement cégep de la FNEEQ.

« Le préjugé qu’on a, c’est que plein de CV vont être reçus dans certaines disciplines parce que ces gens-là ne peuvent pas être placés ailleurs, dit-il. Mais ce qu’on remarque, c’est que, même dans des disciplines comme celles-là, on commence à avoir de la misère à combler. »

« Il y a beaucoup d’essoufflement »

Christian Bernier croit que les difficultés de recrutement en Outaouais peuvent être liées à l’attrait du privé et à des salaires trop bas dans le réseau collégial. « Un prof de français qui a sa maîtrise dans la région, il se tourne de bord et se trouve facilement un emploi à Patrimoine Canada ou au fédéral, avec les mêmes compétences et il sera payé beaucoup plus », explique-t-il.

Certains cours peuvent être annulés temporairement pour une ou deux séances, rapporte M. Bernier, et les professeurs déjà en place acceptent « une surtâche » pour pallier les manques tandis que certains prennent un groupe de plus pour toute la session. « Il y a beaucoup d’essoufflement, lance-t-il. Ça finit par peser sur les gens et les départements. » Le cégep de l’Outaouais n’a pas donné suite à notre demande.

Les difficultés de recrutement et la surcharge des enseignants se discutent de plus en plus, affirme de son côté Yves de Repentigny, en notant que cela touche une diversité de départements. « C’est un cercle vicieux, dit-il. C’est une roue qui tourne, et elle ne tourne pas du bon côté. »

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