Marcel Saint-Laurent, funeste symbole de la crise de l’itinérance

Malgré certains problèmes de consommation, Marcel Saint-Laurent était «stable», il y a quelques années encore. Avant la pandémie.
Photo fournie Malgré certains problèmes de consommation, Marcel Saint-Laurent était «stable», il y a quelques années encore. Avant la pandémie.

Le triste sort de l’homme dont le corps a été découvert le 8 septembre parmi les déchets de l’incinérateur de Québec est devenu l’un des funestes symboles de la crise de l’itinérance. Le Devoir a voulu en savoir plus sur l’être humain, au-delà de cet horrible fait divers.

Pour Nickolas Lauzon, intervenant au refuge Lauberivière, le nom de Marcel Saint-Laurent est intimement associé au billard.

Monsieur Saint-Laurent faisait partie du « groupe des réguliers » de la table de billard du sous-sol de l’église Saint-Roch, centre de jour désormais fermé où il a commencé à travailler autour de 2019.

« Le sous-sol de l’église, c’était bon pour les gens qui avaient besoin de services. Mais c’était aussi un lieu de social. Le groupe des habitués, des “messieurs d’un certain âge”, était assidu. Marcel, c’était quelqu’un qui venait surtout pour le social et se désennuyer. »

Ce n’était pas un itinérant, souligne l’intervenant. « Il avait un logement, il avait des moyens, il ne manquait de rien. »

Et il était « fier de sa personne, bien habillé », se rappelle le directeur de Lauberivière, Éric Boulay. « Toujours la chemise rentrée dans le pantalon, puis, il avait sa petite casquette. »

Avait-il une famille, des proches ? Les intervenants l’ignorent. M. Saint-Laurent était un homme qui parlait peu de sa vie personnelle.

Avant et après la pandémie

 

Il avait assurément eu des problèmes dans le passé, croit Éric Boulay. Il a déjà participé à un programme de réinsertion professionnelle de Lauberivière. À l’aube de l’emploi offre des stages à des personnes prestataires de l’aide sociale dans les secteurs de la buanderie et de l’entretien ménager.

Plus récemment, M. Saint-Laurent travaillait dans la restauration, signale Nickolas Lauzon. Malgré certains problèmes de consommation, l’homme était « stable » il y a quelques années encore.

Puis sont venues la pandémie, la fermeture du sous-sol de l’église… Quand Marcel a réapparu à Lauberivière, c’était un autre homme. « Quand on l’a revu, c’était Marcel 2. Il était hypothéqué, des comportements erratiques », raconte Éric Boulay.

Nickolas a eu de la difficulté à le reconnaître. « En six ans et demi d’expérience ici à voir la misère humaine, c’était la première fois que je voyais une dégradation aussi radicale. Non seulement physique, mais mentale. Il était à moitié délirant, ce n’était pas du tout la même personne. »

Que s’est-il passé ? L’équipe de Lauberivière pense qu’il était malade, atteint d’une maladie grave (un cancer, par exemple), et qu’il refusait de se faire soigner.

Dans le fouillis de ses propos décousus, Nickolas a cru comprendre qu’il avait perdu son appartement, s’était brouillé avec un voisin.

« Marcel 1 » n’est jamais vraiment revenu. Tout récemment, les policiers ont trouvé « Marcel 2 » complètement désorganisé, sur le terre-plein d’un boulevard, une jaquette d’hôpital sur le dos.

Il se promenait souvent avec un sac rempli de déchets alimentaires. La dernière fois que Nickolas l’a croisé, il y a quelques jours encore, il avait vidé le contenu du fameux sac sur le parvis de Lauberivière.

Les questions qui restent

 

Nickolas a la voix qui craque quand on lui parle des circonstances dans lesquelles l’homme de 61 ans a été retrouvé.

« Ça m’a affecté de voir quelqu’un de si bien portant se dégrader au point où on a retrouvé son cadavre dans une poubelle. C’est terrible, ce que je vais dire, mais j’espère qu’il n’avait pas de proches… Parce que si j’étais un de ses proches, ça m’aurait fendu le coeur. »

« C’est toute notre faute, au fond. On l’a échappé. Parce qu’on sait qu’il avait le potentiel [de se mettre à risque], on l’a vu. Où ça a bloqué ? Où ça a manqué ? Je ne le sais pas. On n’a pas le choix de se poser des questions. En tant que société, on n’est pas supposé trouver des citoyens, peu importe leur condition, morts dans une poubelle. On a droit à un minimum de dignité, et ça, je m’excuse, mais il n’y en a pas dans cette mort-là. »

Éric Boulay est en colère. Il y a quelques mois à peine, on a retrouvé un autre habitué de Lauberivière, Gilles Gosselin, mort dans un parc, assassiné.

Marcel a-t-il été tué, battu ? Ou terrassé par ses problèmes de santé et la dureté de sa vie ? Une enquête du coroner a été lancée pour éclaircir tout cela.

En attendant, Nickolas et les autres s’attachent au souvenir sympathique de « Marcel 1 », qui, dit-il, était facilement dans le « top trois » des meilleurs joueurs de son époque au sous-sol de l’église.

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