La fin des excuses

Les 514 millions de dollars que Québec prévoit investir ces cinq prochaines années dans l’infrastructure de recharge pour les véhicules électriques répondent à toutes les demandes de l’industrie. C’est comme si le gouvernement Legault disait aux constructeurs d’automobiles : vous n’avez plus d’excuses. En trouveront-ils une autre ?

D’autant plus qu’en douce, enterré sous la série de mesures annoncées dans le cadre de cet investissement, le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs a confirmé le rehaussement des exigences de sa norme sur les véhicules zéro émission (norme VZE).

Ces exigences relèvent la proportion de véhicules électriques qui devront composer d’ici 2030 les ventes totales de véhicules légers faites au Québec par les grands constructeurs. Ces nouveaux seuils rendent plus réaliste la cible de 2 millions de véhicules électriques que Québec veut voir sur la route en 2030.

Cela a été dit : le meilleur moyen de réduire la consommation d’énergie du transport serait de réduire le nombre de véhicules tout court. En attendant, le gouvernement parie que la meilleure solution est de rendre les véhicules électriques incontournables.

Des bornes intelligentes

La norme VZE, c’est le bâton. La carotte, c’est la multiplication par quinze du nombre de bornes de recharge publiques installées dans la province d’ici 2030. À cela s’ajoute une aide à l’installation de bornes résidentielles : Québec calcule que 1,74 million de bornes résidentielles seront en fonction en 2030.

En ce moment, plus de 80 % des recharges des véhicules électriques ont lieu à la maison. Pour aider les gens qui ne vivent pas dans une maison détachée munie d’une entrée de garage, on espère électrifier 600 000 places dans le stationnement d’immeubles multilogements.

Pour éviter l’engorgement du réseau d’Hydro-Québec, ce sont des bornes résidentielles connectées qui seront privilégiées. Ces bornes ont une connexion wifi, ce qui permet de les commander à distance, par Internet. Leurs propriétaires pourront programmer la recharge hors des fameuses pointes quotidiennes ou saisonnières de consommation d’électricité.

Remarquez, on aurait pu aller plus loin et anticiper l’arrivée de bornes bidirectionnelles. Celles-là permettront — en plus de la recharge normale — de récupérer l’énergie stockée dans la batterie du véhicule pour alimenter sa résidence. Comme on prévoit plus d’événements météorologiques qui menacent le réseau électrique, puiser dans l’énorme batterie de son véhicule durant les pannes va intéresser bien des gens.

Aux constructeurs de jouer

En tout, il y aura au Québec en 2030 presque autant de bornes de recharge qu’on comptera de véhicules électriques. Évidemment, cela dépendra de la capacité de production des constructeurs. Comme leurs calculs se font à l’échelle mondiale, ils ont tendance à privilégier les marchés où l’électrification est la plus payante.

Mais tous les constructeurs ne ressentent pas le même empressement. Toyota, par exemple, se fait tirer l’oreille. Le plus grand constructeur de la planète, qui ironiquement menait la charge de l’électrification durant les années 2000 avec sa petite Prius à moteur hybride, invoque le manque d’infrastructure de recharge.

Encore cet été, ses dirigeants réaffirmaient leur préférence envers l’hydrogène. Selon eux, ajouter une pompe à hydrogène dans des stations-service serait plus avantageux en ville, où les résidents n’ont pas l’espace pour une borne de recharge.

Le hic pour Toyota, c’est qu’ajouter une pompe à hydrogène dans une station-service, ça coûte cher. En plus, les véhicules à batterie à hydrogène sont plus rares et plus coûteux que les voitures électriques.

Épreuve de résistance

Les promoteurs de l’électrification ont tous félicité le gouvernement pour cette stratégie. « Des cibles ambitieuses », « une planification intelligente », « une stratégie excellente », ont clamé les organismes sectoriels Propulsion Québec et Mobilité électrique Canada.

Si on peut faire baisser les prix encore un peu, le mouvement sera bien lancé.

Cela dit, la transition ne se fera pas en douceur pour autant, préviennent les experts. Une autre forme de résistance devra également tomber : la méconnaissance de la technologie. Des gens soucieux de l’environnement pourraient refuser d’acheter autre chose qu’une voiture neuve à essence parce qu’ils ont été mal informés.

Les raisons citées ne sont pas toujours exactes, ou s’appliquent aussi bien pour les véhicules à essence, les ordinateurs personnels et même les téléphones cellulaires : la pollution durant l’assemblage, des métaux rares puisés dans des mines aux conditions de travail inhumaines, des batteries qui finiront au dépotoir…

« Ces préjugés-là restent », constate Daniel Breton, p.-d.g. de Mobilité électrique Canada, qui déboulonne tous les jours ces arguments. « Ils confortent les gens qui ne veulent pas faire le changement. On aura beau leur apporter les résultats de toutes les études, ils n’y croiront pas. »

« Il y en a qu’on ne convaincra jamais. »

Pour tous les autres, il ne reste plus beaucoup d’excuses.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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