Un corps sain pour un esprit sain... et l’inverse

On savait que l’activité physique est bénéfique pour la santé, y compris pour celle du cerveau. On recommande aussi des exercices cognitifs dans le but de retarder l’apparition de la démence. Cette fois, une étude pancanadienne publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) démontre que la combinaison de ces deux types d’entraînement est encore plus bénéfique, car elle ne fait pas que repousser la démence, elle améliore les fonctions cognitives.

Une étude clinique à ce sujet a été menée par cinq universités canadiennes, dont l’Université de Montréal. Au total, 175 personnes âgées de 60 à 75 ans et présentant des troubles cognitifs légers ont pris part à un programme combinant entraînement physique — en résistance et en aérobie — et exercices cognitifs en progression (c’est-à-dire dont l’intensité augmentait à mesure que les participants atteignaient un plateau), programme qui a été comparé à diverses situations contrôles.

Habituellement, on teste une combinaison de tout, et on la compare à un groupe qui ne fait rien. Le groupe qui fait tout s’améliore, ce n’est pas surprenant ! Nous, on a voulu voir s’il y avait vraiment une plus-value [de la combinaison].

« On a voulu tester l’effet synergique de l’exercice physique et de l’entraînement cognitif — d’ailleurs l’essai clinique s’appelle SYNERGIC — et on l’a comparé à des groupes contrôles pour chaque condition, ce qui est assez unique, explique le neuropsychologue Louis Bherer, professeur au Département de médecine de l’Université de Montréal, qui a dirigé l’étude avec Manuel Montero-Odasso, de l’Université Western Ontario. Habituellement, on teste une combinaison de tout, et on la compare à un groupe qui ne fait rien. Le groupe qui fait tout s’améliore, ce n’est pas surprenant ! Nous, on a voulu voir s’il y avait vraiment une plus-value [de la combinaison]. » 

Le programme de presque six mois (20 semaines) consistait en trois séances d’entraînement par semaine, chacune d’une durée d’une heure et demie. Chaque séance comportait 30 minutes d’entraînement cognitif actif composé de petits jeux sur l’ordinateur. Ces jeux visaient à améliorer deux mécanismes cognitifs qui déclinent chez les personnes âgées : la capacité d’inhibition et l’aptitude à effectuer deux tâches simultanément.

Cette période de stimulation cognitive était suivie d’une heure d’entraînement physique en résistance (20 à 30 minutes) visant à accroître la force musculaire (exercices consistant à soulever des poids, à pousser avec les jambes) et en endurance, soit en aérobie (comme de la course ou du vélo stationnaire).

Les performances cognitives des sujets ayant suivi ce programme étaient comparées à celles des sujets de trois autres cohortes ; l’une dont le programme comprenait le même entraînement cognitif, mais un entraînement physique se limitant à des étirements (stretching), l’autre dont le programme incluait un entraînement physique en résistance et en endurance, à la suite d’une activité cognitive se bornant à recevoir les instructions sur l’utilisation d’Internet, et enfin un groupe ayant été affecté à un programme entièrement placebo.

Neurones en forme

Le programme combinant l’entraînement physique en résistance et en aérobie plus les exercices cognitifs en progression a non seulement ralenti le déclin cognitif des participants, mais il a carrément amélioré leurs fonctions cognitives telles que la mémoire, le contrôle de l’attention, la vitesse de traitement de l’information (la capacité de la personne à prendre des décisions rapidement), et les fonctions exécutives (la planification, l’inhibition de l’impulsivité, la régulation des émotions).

Louis Bherer a été très surpris de l’ampleur de l’effet de la combinaison des deux entraînements. « Sachant que l’exercice physique a déjà un impact majeur, je ne m’attendais pas à voir un effet si important avec l’ajout de l’entraînement cognitif. Et une autre raison d’être surpris de voir une telle amélioration est le fait que les participants avaient des troubles cognitifs légers, qui avaient été diagnostiqués en clinique et qui, de ce fait, étaient à haut risque de développer la maladie d’Alzheimer », dit-il.

Ce programme d’entraînement empêchera-t-il ces personnes de développer une démence ? « On ne le sait pas », répond-il, malgré le fait que les performances cognitives des participants mesurées six mois après la fin du programme avaient diminué très légèrement et n’étaient pas revenues au point de départ.

« Si le régime était maintenu au-delà de six mois, j’aurais plus tendance à dire oui », poursuit le chercheur, qui est directeur du Centre EPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal.

« Ce n’est pas la petite marche du dimanche qui fonctionne, souligne-t-il, par ailleurs. C’est plutôt un programme d’entraînement consistant. On ne fait pas que du maintien, on veut voir une progression. Quand on voit que les individus se sont améliorés physiquement et cognitivement, on les pousse encore plus. On vise une amélioration de leur santé cardiorespiratoire et de leur force musculaire. »

Comment explique-t-on l’effet spectaculaire de ce type d’entraînement ? « Quand on fait de l’exercice, on améliore notre métabolisme, notre flux sanguin et la distribution de l’oxygène dans l’organisme, ça ne peut donc pas faire autrement que d’améliorer le cerveau, qui est un grand consommateur d’oxygène et de glucose », avance le spécialiste.

De plus, il a été démontré dans des modèles animaux que l’exercice entraîne la libération de molécules, appelées exerkines, notamment par les muscles (des myokines) et le coeur (des cardiokines). Ces exerkines qui se retrouvent dans la circulation sanguine, également celle des humains, auraient « un effet neurotrophique » dans le cerveau. « Quand on fait de l’exercice, on crée ces molécules qui seraient des facteurs de neurogénèse, d’angiogénèse et de synaptogénèse », indique M. Bherer.

La production de ces exerkines expliquerait peut-être la meilleure connectivité entre les régions frontales et temporales qui a été observée dans le cerveau de personnes âgées après un programme d’entraînement comme celui proposé dans l’étude SYNERGIC. « Une meilleure connectivité veut notamment dire qu’il y a une meilleure utilisation des ressources mentales », explique le chercheur.

Qui plus est, deux études, l’une publiée dans PNAS et l’autre dans Frontiers in Aging Neuroscience, ont également montré qu’un entraînement physique aérobique d’un an augmentait le volume de l’hippocampe, une structure cérébrale qui joue un rôle central dans la mémoire. Cet accroissement de l’hippocampe permettait de contrecarrer le rétrécissement de 1,5 à 2 % par année qui survient chez les personnes de 65 ans et plus.

« Beaucoup de gens pensent qu’ils ne peuvent pas faire d’exercice parce qu’ils font de l’hypertension, qu’ils ont eu une chirurgie cardiaque ou une chirurgie du genou. C’est l’inverse, ce sont ceux qui en bénéficieront le plus. Il faut simplement choisir des activités physiques qui seront adaptées à la condition de chaque personne. Il y en a une multitude qui fonctionnent », souligne M. Bherer.

À voir en vidéo