Un Québécois en charge de donner de la flexibilité à la diplomatie canadienne

Antoine Chevrier à Addis-Abeba, le 9 février 2020, alors qu’il était ambassadeur du Canada en Éthiopie
Sean Kilpatrick archives La Presse canadienne Antoine Chevrier à Addis-Abeba, le 9 février 2020, alors qu’il était ambassadeur du Canada en Éthiopie

Le gouvernement Trudeau compte sur un haut fonctionnaire québécois pour alléger le « fardeau bureaucratique » du mastodonte administratif Affaires mondiales Canada, en plus d’y renforcer la présence du français et d’ouvrir la porte aux nouvelles technologies.

« On veut s’assurer que nos gens dédient leur temps au sein du ministère pour du travail à valeur ajoutée et pas juste pour remplir des formulaires par-dessus d’autres formulaires. C’était un point de tension », explique le sous-ministre adjoint Antoine Chevrier.

Diplomate de carrière, M. Chevrier a été ambassadeur du Canada en Éthiopie et haut-commissaire au Mozambique. Il a été promu dans la haute fonction publique en tant que responsable de l’Afrique subsaharienne dans un contexte où pratiquement tous les postes les plus prestigieux à Affaires mondiales Canada étaient occupés par des cadres anglophones.

L’homme originaire de Gatineau affirme malgré tout ne pas s’être senti isolé. « Mais il demeure que je suis un fier défenseur et promoteur des langues officielles », dit-il en entrevue au Devoir, en marge de la publication lundi d’un Plan de mise en oeuvre de la transformation, qui doit servir de « boussole » pour améliorer Affaires mondiales Canada.

C’est la ministre fédérale des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui lui a donné ce printemps cette mission d’une durée de trois ans. Son plan annonce notamment le lancement dès cette semaine d’une révision en continu des manières de faire de l’imposante structure administrative de 14 000 employés, dont une partie est éparpillée partout sur la planète.

En manque de flexibilité

 

En cette deuxième année de guerre en Ukraine et après la publication d’une stratégie pour l’Indo-Pacifique, le Canada souhaite augmenter son influence dans le monde. La ministre Joly a rencontré tous les ambassadeurs en juin à Ottawa pour leur faire part de cet objectif. Son constat : le ministère est trop rigide, lent, allergique au risque et unilingue, entre autres sérieux problèmes.

Il en revient à Antoine Chevrier de changer les mauvaises habitudes. « J’ai assez d’expérience dans ce ministère pour dire que les décisions par rapport aux lieux où [le Canada] est présent à l’étranger sont celles qui prennent beaucoup de temps pour différentes raisons. On veut être prudents, ça coûte cher. […] Mais il y a peut-être des façons de pouvoir s’ajuster plus rapidement aux circonstances qui changent. »

Sa tâche est accueillie avec enthousiasme, mais aussi avec une pointe de scepticisme par ses collègues, admet-il. Le spécialiste était notamment présent lors de la fusion de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), en 2013, pour former cette mégastructure qui englobe aussi le commerce international et qui est aujourd’hui critiquée pour sa lourdeur notoire.

Technologies à profit

Afin de ne pas « alimenter le cynisme » auprès des fonctionnaires qui ont vu passer les promesses de réformes, M. Chevrier insiste sur le fait qu’il faut changer les choses le plus vite possible et de manière continue ces prochaines années. « Ce qu’on veut éviter de faire, […] c’est justement de dire : “On va prendre notre temps, on va préparer un rapport dans 12, 18 mois.” […] Une des premières choses qu’on va lancer agressivement, dans le bon sens du terme, c’est l’exercice de réduction du fardeau [bureaucratique]. »

Son plan pour réduire la paperasserie inutile passe par les technologies. Rédigé telle une grille d’évaluation sur le travail à accomplir jusqu’en 2026, son plan précise notamment qu’il convient de « simplifier des secteurs de travail clés au sein du ministère » grâce à l’intelligence artificielle (IA).

L’espoir est que cela permette au gouvernement d’augmenter son ambition, ou, autrement dit, de viser une « réduction de l’aversion au risque » qui plombait généralement les actions du gouvernement canadien à l’étranger. Le Canada compte d’ailleurs être présent dans les discussions internationales sur l’encadrement de l’IA.

D’autres objectifs sont aussi détaillés pour tenter d’améliorer la culture organisationnelle, mieux prendre soin du personnel ou augmenter la présence du Canada dans le monde.

Plus de français

 

Comme l’avait promis la ministre Mélanie Joly à l’époque où elle était responsable du portefeuille des Langues officielles, Affaires mondiales Canada a pour ambition d’en arriver à une égalité entre le français et l’anglais. On peut y lire l’engagement que « l’utilisation des deux langues officielles [soit] encouragée de manière égale ».

« En phase avec les obligations nouvelles de la Loi sur les langues officielles, c’est de s’assurer qu’on est encore plus équipés, encore mieux représentés dans les deux langues officielles, donc qu’on puisse les utiliser encore plus dans l’ensemble de nos interactions », dit Antoine Chevrier.

Le haut responsable explique qu’un défi repose sur le fait que les ambassades canadiennes dépendent en grande partie d’employés recrutés sur place (ERP, dans le jargon fédéral). La main-d’oeuvre locale, qui forme les collègues des diplomates canadiens, parle plus souvent anglais que français.

Dans ces situations, Affaires mondiales Canada souhaite leur fournir l’occasion d’apprendre le français, explique M. Chevrier. « En bout de ligne, ce sont des collègues qui représentent le Canada, comme nous aussi. » Il estime aussi qu’il est important que les hautes sphères de l’organisation fassent preuve d’un leadership sur cette question.

Ces dernières années, Le Devoir a rapporté qu’Affaires mondiales Canada a promu une cadre au comportement toxique, a fait peu de place au français parmi ses gestionnaires, facilite les promotions pour les anglophones et envoie des diplomates dans des pays dont ils ne maîtrisent pas la langue. Le nombre de missions diplomatiques du Canada dans le monde doit passer de 178 à 182 en 2023.

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