Pour la profession infirmière, la solution n’est pas américaine

Le réseau de la santé attend chaque escadron d’infirmières nouvellement qualifiées avec une hâte teintée d’un vif sentiment d’urgence. Que près du quart des quelque 3000 candidates à l’exercice de la profession infirmière (CEPI) aient choisi de bouder le controversé examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) ces jours-ci aura un effet démobilisateur sur les troupes. Reste que c’est en haut lieu qu’il faudrait que ces reports en série fassent mal.

Malheureusement, tant Québec que l’Ordre ne semblent pas prendre la juste mesure de la crise que traverse la profession infirmière. Cela fait près d’un an que l’on sait que quelque chose cloche du côté de cet examen remanié, qui a vu les taux de réussite des CEPI chuter à 51 % et 53 %. Pétri de « failles » et de « fragilités », cet examen a été démoli dans une analyse étayée du commissaire à l’admission aux professions au printemps dernier.

Plutôt que de suivre studieusement les recommandations qui y sont avancées par Me André Gariépy, l’OIIQ a chipoté sur les chiffres. Il a fini par céder sur des points de détail tout en restant inflexible sur l’essentiel. L’épreuve du 18 septembre prochain sera ainsi constituée du « même examen corrigé selon les mêmes standards ». Personne ne blâme les CEPI qui ont choisi d’attendre le tour de mars prochain pour jouer leur avenir.

Leur pari est risqué. On se demande quel genre d’électrochoc il faudra à l’Ordre pour qu’il cesse d’avancer comme s’il était seul dans ce dossier. Même des complices naturels, comme les établissements d’enseignement et les centres hospitaliers, sont tenus à distance. Le refus de l’OIIQ de revoir en profondeur son examen trahit une attitude butée qui n’est pas à la hauteur de son rôle.

Son choix unilatéral d’adopter en mars prochain l’épreuve américaine (connue sous l’abréviation NCLEX-RN) en lieu et place de l’examen honni n’en finit plus de faire des remous. À raison : un tel examen n’est pas qu’un outil d’évaluation, c’est un élément crucial à la définition de la norme professionnelle.

Recourir à l’examen américain, ce serait donc mettre une croix sur tout ce qui distingue le système québécois. Pire, ce serait s’engager dans une voie minée qui risque de prendre des mois pour — mal — se mouler à notre identité. Il n’y a qu’à regarder du côté du Nouveau-Brunswick pour s’en convaincre ; là-bas, la traduction française aura été à ce point laborieuse qu’elle aura mené à des poursuites.

Lundi, Le Devoir rapportait que des CEPI découragées se tournent vers le test américain utilisé au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique pour se sortir de ce bourbier. La gestion des effectifs infirmiers est un élément majeur de la refonte de notre système de santé. Il serait irresponsable de laisser ce triste chapitre s’étirer davantage.

Le gouvernement Legault non plus n’aime pas l’idée de s’en remettre à une épreuve conçue à l’étranger pour un réseau privé qui a peu d’atomes crochus avec notre régime public. Un bras de fer entre l’OIIQ et les ministres Christian Dubé et Sonia LeBel paraît inévitable. On se réjouit de pareille perspective. Vivement qu’ils roulent les mécaniques !

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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