«Reptile»: meurtre inexpliqué pour flic obsédé

Daniel McFadden / Netflix Benicio Del Toro compose dans «Reptile» un fabuleux personnage de flic, tout en nuances, en regards et en silences.

Summer, une jeune agente immobilière en pleine ascension, est retrouvée assassinée par son fiancé et partenaire d’affaires dans la maison qu’elle faisait visiter ce jour-là. Les suspects ne manquent pas, à commencer par ledit petit ami. À moins qu’il ne s’agisse de la mère possessive de ce dernier ? Et que dire de cet inquiétant jeune homme qui rôde dans le secteur ? D’emblée, le détective Tom Nichols sent que quelque chose cloche. Obnubilé par cette affaire, le voilà lancé sur la piste de l’insaisissable vérité. Or, comme le confie le réalisateur Grant Singer, Reptile (V.F.) est un film policier à l’identité changeante.

Après avoir réalisé maints vidéoclips, dont plusieurs pour The Weeknd, ainsi que pour Lorde et Ariana Grande, Grant Singer signe avec Reptile, qu’il a également coscénarisé, son premier long métrage.

« Benjamin Brewer et moi avons écrit le scénario et l’avons proposé à la productrice Molly Smith, qui l’a montré à Benicio Del Toro, avec qui elle a collaboré sur Sicario et sa suite », explique Grant Singer lors d’un entretien qui s’est tenu pendant le Festival international du film de Toronto.

Fille du fondateur milliardaire de FedEx, Molly Smith a notamment coproduit, outre Sicario, de Denis Villeneuve, The Good Lie (Le beau mensonge), de Philippe Falardeau, Demolition (Démolition), de Jean-Marc Vallée, et La La Land (Pour l’amour d’Hollywood) de Damien Chazelle.

« Benicio, c’était notre rêve pour jouer Tom, mais on n’y croyait pas. Sauf qu’il a dit oui. Je n’exagère pas en disant que de collaborer avec lui, ça a changé ma vie. »

Mémorable évidemment dans Sicario mais aussi dans Traffic (Trafic) et Che, de Steven Soderbergh, Benicio Del Toro compose dans Reptile un fabuleux personnage de flic, tout en nuances, en regards et en silences. Son Tom est un homme buté non seulement dans sa volonté de trouver le ou la coupable, mais aussi dans son éthique professionnelle.

Benicio, c’était notre rêve pour jouer Tom, mais on n’y croyait pas. Sauf qu’il a dit oui. Je n’exagère pas en disant que de collaborer avec lui, ça a changé ma vie.

Laquelle éthique, apprendra-t-on, lui a causé des ennuis dans le passé, alors qu’il travaillait dans une autre ville.

À la Maigret

 

On suit ainsi Tom au gré de son enquête, tant pendant ses heures de travail qu’après celles-ci, à la maison (en pleines rénovations), avec sa conjointe Judy, qu’incarne Alicia Silverstone. À l’écran, les covedettes affichent une complicité palpable, du genre de celles qui vous collent un sourire sur le visage, parce que ces deux-là ont réellement l’air bien ensemble.

On croit à ce couple de longue date qui, hormis un amour encore évident, dégage ce côté « meilleurs amis » acquis au fil de longues années pas forcément toutes roses. À ce propos, il faut savoir que Benicio Del Toro et Alicia Silverstone se sont jadis donné la réplique dans la comédie policière Excess Baggage (Coquines à l’excès, de Marco Brambilla ; 1997).

« Cette magie-là était perceptible dans chacune de leurs scènes », opine Grant Singer.

« Je me souviens, lors des répétitions avant le tournage, dès qu’ils ont été en présence l’un de l’autre, le couple qu’ils devaient former dans le film est devenu vivant. Ç’a été instantané : on l’a tous vu. Je ne sais pas comment l’expliquer… C’était presque tactile. Et ce n’était pas uniquement leur complicité : le côté joueur que leurs personnages partagent, c’était complètement vrai. Benicio et Alicia avaient ce rapport-là entre les prises. Alicia confère en outre à Judy une chaleur merveilleuse qui offre un parfait contrepoint à la réserve développée par Benicio pour Tom. Tom qui confronte le mal chaque jour et essaie de ne pas ramener ça chez lui. »

Photo: Daniel McFadden / Netflix À l’écran, Benicio Del Toro et Alicia Silverstone affichent une complicité palpable, du genre de celles qui vous collent un sourire sur le visage.

En l’occurrence, certaines des meilleures scènes du film sont celles où les deux époux discutent de l’affaire. Un peu comme le commissaire Maigret de Simenon, le détective Tom Nichols de Singer sollicite le point de vue de sa femme, dont il aime avoir la perspective sur certains éléments qui le laissent dubitatif.

Car c’est un casse-tête beaucoup plus gros, et aux ramifications beaucoup plus vastes qu’anticipé, que Tom doit résoudre. En un écho visuel à ce constat croissant, Grant Singer opte pour une approche de plus en plus insidieuse et sinueuse sur le plan visuel.

« J’ai tout soigneusement chorégraphié. Je pense entre autres à ce passage où le personnage de Justin [Timberlake, le fiancé] fait visiter une maison au personnage de Benicio : ils ont cet échange inconfortable, puis la caméra pivote alors qu’ils se dirigent vers la cuisine, puis elle avance lentement… Ils quittent le cadre, la caméra pivote à nouveau, posément… Au sous-sol, où ils descendent ensuite, j’avais une seconde caméra prête. De telle sorte que les acteurs n’avaient pas à s’interrompre dans leur jeu, puisque dans les faits, leurs déplacements et interactions étaient captés sur deux planchers, dans la continuité. Je crois qu’en permettant aux acteurs d’habiter leurs personnages comme ça, en minimisant les coupes, ça peut donner des performances encore plus inspirées. »

Selon Grant Singer, si le film s’est avéré différent, en mieux, de ce qu’il avait envisagé, c’est grâce à la contribution des interprètes, à la tridimensionnalité qu’ils ont insufflée aux rôles.

Le facteur onirique

 

Ce qui n’a toutefois jamais changé, c’est l’intention de départ de réaliser un film qui déjoue les attentes.

« Le film se présente d’abord comme un meurtre et mystère aux allures de film noir, et puis à mi-parcours, un événement survient qui change tout et propulse le film dans une autre direction. Dès lors, plusieurs questions nouvelles émergent pour Tom, et avec ces questions, un sentiment de paranoïa — je voulais que le public ressente aussi cette paranoïa et se mette à suspecter tout le monde. Même la narration se transforme. »

En effet, le film se colore de touches d’onirisme alors qu’un danger sourd semble se rapprocher de Tom…

« En matière de rythme, je voulais à la fois séduire le public, et le maintenir sur le bout de son siège. La mise en scène, le montage, le jeu… Je voulais que le film devienne graduellement hypnotique. »

De conclure Grant Singer :

« Pour moi, les films, c’est comme des rêves. Mes films préférés — Lost Highway [Route perdue, de David Lynch ; 1997], Vertigo [Sueurs froides, d’Alfred Hitchcock ; 1958], The Shining [Shining l’enfant lumière, de Stanley Kubrick ; 1980], Les fraises sauvages [d’Ingmar Bergman ; 1957], Sciuscià [de Vittorio De Sica ; 1946] — se déploient comme des rêves. C’est de l’ordre de l’expérience subjective, c’est intangible… mais je sais que pour mon film, je cherchais à convoquer cette impression. »

À l’image de son protagoniste, Grant Singer était lui aussi obnubilé, mais lui, par une insaisissable qualité.

Le film Reptile sort en salle le 22 septembre, puis sur Netflix le 29 septembre.

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