Ce n’était pas un canular, Jeunesse Canada Monde n’est vraiment plus

L’aventure Jeunesse Canada Monde de huit jeunes Autochtones de différentes régions du Canada en immersion au Pérou en 2022. L’un des derniers voyages organisés par l’ONG.
Jeunesse Canada Monde L’aventure Jeunesse Canada Monde de huit jeunes Autochtones de différentes régions du Canada en immersion au Pérou en 2022. L’un des derniers voyages organisés par l’ONG.

Une amie m’a déjà demandé : « Pour qui as-tu une profonde admiration ? »

« La première personne serait celle qui a fondé Jeunesse Canada Monde. La seconde serait celle qui a fondé Katimavik », lui ai-je répondu. D’un air rieur, elle s’est exclamée : « Il y a de la suite dans tes admirations, car il s’agit de la même personne : Jacques Hébert. »

Il va sans dire que je suis allée immédiatement lire sa bio. Ce regretté journaliste et sénateur, décédé en 2007, a eu toute une vision dans les années 1970. Il était convaincu que le Canada pouvait devenir la conscience des pays riches et le catalyseur du dialogue Nord-Sud, grâce au fait que le Canada, lui, n’avait pas d’ambition de domination, n’accueillait pas de racisme (l’histoire ne lui en avait pas encore donné l’occasion !), et avait un passé colonial sans reproche (disons que le sénateur, s’impliquant auprès des communautés autochtones des années plus tard, comprit l’aberration de cette idéologie…).

Quoi qu’il en soit, cette vision, il voulait la faire vivre à un groupe bien précis : les jeunes adultes bâtisseurs de demain, les 17 à 25 ans. C’est ainsi qu’en 1971, il fonda Jeunesse Canada Monde (JCM).

Mais voilà le triste sort de l’après-pandémie. JCM ayant été frappée de plein fouet par les coupes du fédéral dans les fonds destinés aux organismes dont les activités impliquaient du voyagement durant la pandémie de COVID-19, on annonce un arrêt de ses programmes en septembre 2022.

Lorsque Susan Handrigan, la présidente et cheffe de la direction, me l’annonça, j’ai balayé du revers cette fatalité. Impossible. JCM, c’est le Klondike des ONG au Canada, notre « Peace Corps » ! Il existe plusieurs autres programmes notoires aujourd’hui, mais JCM avait la cote !

Selon moi, JCM s’est démarquée grâce à trois concepts. D’un, les participants passaient trois-quatre mois dans une autre province au Canada avant de partir à l’étranger, en misant sur l’ouverture vers l’autre solitude. De deux, durant les trois-quatre mois au Canada, le programme accueillait les jeunes des pays majoritaires (le tiers-monde, qu’on disait au temps de Jacques Hébert). De trois, le tout se passait dans des familles d’accueil, ce qui permettait aux participants de s’imprégner véritablement des us et coutumes tout en travaillant bénévolement dans les communautés, tantôt sur une ferme, tantôt à creuser un puits. Les bons coups de JCM des dernières années résidaient entre autres dans les initiatives pour les Autochtones.

« Je vais écrire à mon député de Papineau… de ses initiales JT. Mais franchement, ai-je répété à Susan, faut pas t’inquiéter. JCM ne peut pas fermer. » 

Nous voilà un an plus tard. Une généreuse pétition des anciens et plusieurs articles d’un océan à l’autre, mais pas de renversement.

Bien installées avec nos familles respectives dans le sable chaud de Cap-Pelé, près de Moncton, il y a quelques semaines à peine, ma belle-soeur Marie et moi nous sommes replongées dans les souvenirs de son aventure JCM de 1999. Trois mois sur l’île du Cap-Breton et trois mois en Égypte, les deux expériences avec Aya, son homologue égyptienne. Je dévorais son récit comme une amatrice de homard le ferait avec sa première guédille de saison. Elle replongeait sans équivoque dans les souvenirs les plus significatifs de sa jeunesse.

JCM aura ainsi contribué à façonner les plus beaux souvenirs de Marie… De Kimmyanne, ma prof de danse qui ajoute des mouvements ouest-africains à ses chorégraphies. Et de mon ami Winston, pour qui l’implication auprès des jeunes entrepreneurs québécois à l’international est une boussole de survie dans son quotidien. Je parie que vous connaissez également cet ancien ou cette ancienne.

L’aventure JCM, ça aura été le jalon de développement personnel le plus formateur de 50 000 jeunes au fil des 50 dernières années.

Si l’honorable sénateur Hébert était toujours parmi nous, peut-être ferait-il une grève de la faim, comme il l’a fait en 1986 pour contester la décision du gouvernement Mulroney qui devait couper les vivres à Katimavik, l’organisation soeur de JCM qu’il fonda en 1977.

N’est-il pas absurde de penser que nos jeunes seront confinés entre les quatre murs d’une classe, de la maternelle jusqu’à la fin de l’université ! ? Drôle de système. Pas surprenant que des pays comme la France institutionnalisent des programmes de transition où les jeunes doivent explorer le monde par l’intermédiaire de stages bien ficelés.

Les temps ont changé depuis 1971, et j’ai pour mon dire que la transition climatique est un défi planétaire nécessitant l’apport d’organisations de coopération internationale. Il convient plus que jamais d’avoir des citoyens qui saisissent l’interdépendance des pays, et les rouages permettant (ou non) de répartir les richesses équitablement. Une suite du programme pourrait miser sur la participation des jeunes à l’amélioration du bilan environnemental des communautés. Les impliquer davantage au sein des communautés autochtones. Les outiller pour qu’ils comprennent mieux l’innovation sociale, la souveraineté alimentaire… pour ne citer que quelques défis de l’heure.

Je ne peux m’empêcher de penser quel meilleur pays du monde le Canada pourrait devenir si des programmes comme ceux de JCM devenaient accessibles à tous les jeunes.

Je connais un sénateur, dans le temps, qui aurait appuyé une telle motion.

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