Les artisans du sublime urbain

La semaine dernière, la mairesse de Montréal a présenté les premiers traits du projet de revitalisation du mont Royal pour 2027. C’est une lueur d’espoir pour ce parc majestueux défiguré depuis trop longtemps par la présence inopportune de la voie Camillien-Houde.

La sécurité n’est pas la seule justification derrière cette initiative, c’est aussi la fin d’une anomalie urbaine : celle d’une voie de transit au milieu d’un parc.

Le créateur du parc du Mont-Royal, l’architecte-paysagiste Frederick Law Olmsted, considérait la nature comme un baume, un antidote aux tumultes de l’urbanisation et de l’industrialisation. D’ailleurs, ce dernier avait donné des directives pour que l’ascension du parc se fasse lentement. Pour lui, chaque promenade devait ouvrir à une méditation lente : une ode à l’interaction harmonieuse entre l’homme et la nature.

Pourtant, le maire Drapeau a tracé une route à travers ce havre naturel. Sa vision moderniste a brouillé la vision initiale d’Olmsted. Le renouveau proposé par la Ville cherche à rectifier une bévue passée, à redonner au parc son essence d’antan, permettant ainsi aux promeneurs de parcourir librement ses sentiers. Imaginons déjà cette boucle piétonne et cyclable à travers cet espace vert unique. C’est un acte symbolique de rendre le parc à ses véritables habitants : les humains. Je dis bravo !

Au moment où nous prenons conscience quotidiennement des effets délétères du réchauffement climatique, tout geste semblable dans les villes devient salvateur pour les humains. Favoriser l’adaptation implique que nous devons créer des milieux naturels plus propices à offrir du répit aux êtres vivants. On revient aux principes fondateurs qui avaient guidé Olmsted dans sa création : la nature comme facteur thérapeutique pour l’humain.

Il est étonnant de réaliser comment l’urbanisation du siècle dernier a souvent éclipsé l’essence humaine dans sa conception. Aujourd’hui, un geste aussi simple que de redonner un parc à la population est perçu comme révolutionnaire, et même radical pour certains. Mais ce qui est véritablement radical, c’est de façonner des villes qui semblent indifférentes à leurs résidents. Heureusement, l’humain est de nouveau au coeur de toutes les préoccupations d’aménagement du territoire.

Cette nouvelle orientation évoque un retour à la primauté des urbanistes et des artisans du paysage urbain. Il était temps de redonner à ces professionnels de la ville les clés de l’urbanisme pour leur permettre de façonner notre espace. Leur expertise inestimable pourra nous guider à travers les défis climatiques en redonnant à la ville son coeur et son âme, mais surtout une capacité d’adaptation nécessaire au maintien de la qualité de vie des citadins.

À la jonction des XIXe et XXe siècles, ces experts étaient au coeur de la construction urbaine. Cependant, avec l’essor de l’automobile, leur influence a décliné. L’esthétique de nos villes s’est estompée pour faire place au paradis gris des routes asphaltées. Pendant une centaine d’années, la splendeur du paysage et de l’architecture a été négligée, nous éloignant de la simple beauté que la nature peut offrir pour nous apaiser du stress urbain.

Au fond, c’est de cela qu’il est question dans l’annonce de transformation du parc du Mont-Royal. Les mots sont importants. Ce n’est pas qu’une fermeture de rue, comme certains se plaisent à l’affirmer. C’est un acte de réappropriation humaine sur un espace qui n’aurait jamais dû être dénaturé de son geste créateur. Grâce à leur talent, les urbanistes, les architectes du paysage et les ingénieurs vont recréer un lieu d’apaisement essentiel pour les êtres humains. Il n’y a pas de prix pour une expertise au service du bien commun comme celle-là.

Ironie du sort, alors que nous redécouvrons la valeur de ces professionnels, il a fallu que le Québec perde l’un de ses plus illustres architectes du paysage, Claude Cormier. J’ai eu le privilège de le croiser à quelques reprises. Je me souviens de la passion qui le poussait à transformer la grisaille urbaine en tableau vivant. Dans ses yeux, chaque coin de rue avait un potentiel artistique, était une occasion de fusionner la nature et l’urbain. Son esprit vif et créatif savait nous transporter au coeur d’un art et d’un design unique qui a transformé nos paysages urbains.

Pour Cormier, la ville n’était pas qu’un amas de bâtiments, elle était une oeuvre en perpétuelle évolution. De cette vision, nous devons tirer des leçons pour bâtir les villes de demain. Car au-delà des défis techniques, comme la gestion des eaux ou la mobilité, l’esthétique urbaine importe aussi quand il s’agit du bien-être quotidien.

Cormier avait fait de cette mission sa priorité, et son empreinte se voit dans de nombreux espaces. Inspirons-nous de son génie et ouvrons la voie à la prochaine génération de créateurs, désireux de rendre nos villes plus humaines, comme nous le verrons bientôt apparaître sur le mont Royal.

À Claude Cormier, maître de la beauté urbaine et artisan du sublime, merci pour tout !

 

P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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