Madame Phan: cuisine de rue aigre-douce

Le restaurant Madame Phan à Québec
Charles-Frédérick Ouellet Le restaurant Madame Phan à Québec

Pendant plusieurs années, la devanture jaune et bleu de La petite Dana a fait figure de point de repère dans le secteur de la gare du Palais, à Québec. Lorsque la fille des propriétaires a peint le lieu d’un bleu cobalt pour en faire son propre restaurant de cuisine de rue asiatique, l’effet de surprise a alimenté la curiosité. Qu’allait-on bien pouvoir y manger ? Serions-nous dépaysés ? Et que resterait-il de Dana chez Madame Phan ? Une pandémie plus tard, on poussait enfin la porte.

La jeune cheffe et restauratrice Kwen Phan a non seulement repris le restaurant de ses parents — renommé en l’honneur de sa mère — pour continuer d’offrir des plats de cuisine asiatique dans ce quartier de la capitale, mais quelques mois après son ouverture, elle lançait des soirées collaboratives avec des chefs de la ville, dont Karine Jacques (Babeurre) et Joël Pelletier (La Planque), participait à des événements culinaires et créait sa propre bière signature. Et c’est sans oublier qu’en ces temps de pénurie de main-d’oeuvre, Madame Phan y sert le lunch — une espèce rare. Autant de dynamisme et d’arguments qui donnaient envie de s’y attabler !

En chemin, nous nous repassons certaines scènes de Cuisine de rue. L’Asie, diffusée sur Netflix. Une série dont la cuisine traditionnelle et inventive nous a tant enivrés ; un biais conscient et pertinent.

Les images plein la tête, nous entrons donc chez Madame Phan, une première fois, au lendemain du temps des Fêtes. Une tempête secoue Québec et nous sommes ravis de constater que nous ne sommes pas les seuls à y trouver refuge. Le décor, totalement différent, est plus chaleureux avec les applications de bois sur les murs et les abat-jour ajourés noirs. Un bar en plein centre fait aussi le lien avec la cuisine.

Accompagnés de deux enfants gourmands à qui nous avions promis de la soupe — une phô, espérions-nous ! —, nous faisons rapidement le tour du menu du jour qui ratisse large sur le thème de l’Asie. Les options vont de la soupe-repas et du sauté de basilic thaï au poulet curry ou général Tao. On cherche les bao buns, le bánh mì ou des spécialités originales du Vietnam, dont est originaire Mme Phan. À défaut, nous jetons notre dévolu sur ce qui nous inspire le plus.

Le verdict est aigre-doux. La soupe-repas (poulet, vermicelles, carotte, chou, brocoli) est réconfortante sans être renversante. Le sauté de basilic thaï s’avère le meilleur des plats commandés grâce au contraste de saveurs ; le poulet bien grillé, l’acidité sucrée du vinaigre de riz et l’éclat de la citronnelle, de la menthe et du basilic frais. Un genre de salade tiède sur une base de vermicelles qui nous fait pousser un soupir de soulagement.

On opte aussi pour le seul mets au nom vietnamien : le bún thịt nướng, un bol de viande grillée version végé. L’assiette contient des morceaux de carottes, de brocoli, de poivron vert et du tofu au goût âcre et incertain qui laisse douter de sa fraîcheur. Le tout est enrobé d’une sauce collante sans réelle saveur et servi avec du riz blanc. Au moment de débarrasser, notre serveur ne nous pose aucune question sur notre appréciation de la protéine végétale, pourtant laissée entière dans l’assiette. On comprend qu’il était seul sur le plancher et qu’il y a pénurie de main-d’oeuvre. Néanmoins, observer, vérifier et sonder les invités est la base du service aux tables. Tous les clients ne se font pas entendre sur leur expérience. La plupart, en fait, se taisent et ne reviennent simplement jamais.

Sauf que nous, nous avions envie de donner une deuxième chance à Madame Phan.

Se sustenter efficacement

Quelques semaines plus tard, nous y revoilà avec un ami qui arrivait tout juste du Vietnam. Cette fois, la salle à manger était bondée de travailleurs des bureaux avoisinants et le serveur, le même qu’à notre première visite, avait déjà de la broue dans le toupet. Il est évident qu’on vient ici le midi pour se sustenter efficacement, pas pour vivre une expérience culinaire.

Le menu était, lui aussi, le même que lors de notre première visite. Nous avons choisi les nouilles croustillantes aux crevettes et le bol de viande grillée, cette fois-ci au poulet. Deuxième chance, disions-nous.

Étonnamment, le plat n’avait rien à voir avec le riz banal et la sauce collante qu’on nous avait servis la première fois. Ça ressemblait quasi en tout point au sauté de basilic thaï, à l’exception des aromates, ici coriandre et sauce poisson. Ce qui nous fait dire que si nous devions y retourner, nous prendrions l’un de ces deux mets, et rien d’autre.

Le nid de nouilles croustillantes présentait une belle quantité de crevettes décortiquées, recouvert d’une sauce sucrée-salée très gélatineuse et agrémenté de morceaux de carottes, de brocoli et de poivron vert. Un air de déjà-vu, oui. Ajoutons qu’en guise de dessert du jour, on offre un biscuit de fortune — ce qui est plutôt une façon sympathique de dire au revoir qu’un dessert en soi.

Comment conclure cette critique ? Loin de nous l’idée de faire ombre aux affaires de Mme Phan, qui est encore dans sa phase de démarrage. Cependant, nous devons être honnêtes et nos expériences n’ont pas été à la hauteur du potentiel que peut avoir ce restaurant. Nous voulions être surpris, étonnés par une cuisine de rue qui sort des plats trop souvent répétés. On comprend que les Québécois adorent le général Tao, mais pourquoi ne pas oser et créer le nouveau plat qui fera autant sensation ?

Et visiblement, ce n’est pas le midi que l’on peut découvrir la signature de Kwen Phan. Un coup d’oeil au menu du soir nous laisse présager plus de plaisir en bouche, avec notamment avec une soupe phô et des rouleaux de printemps. Et c’est fort heureux. Pour notre part, nous laisserons le temps au temps, tout en gardant un oeil intéressé sur l’évolution de l’endroit. Qui sait. Jamais deux sans trois, dit-on.

Madame Phan

★★

$ Le bonheur pour une vingtaine

311, rue Saint-Paul, 418 692-3848

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