Un quartier de Lévis bousculé par la densification face au silence du parti au pouvoir

Un immeuble résidentiel pousse à peine à 5 mètres de la cour de Jean-François Bélanger, où sa famille et lui avaient l’habitude de se prélasser dans la piscine ou le spa.
Francis Vachon Le Devoir Un immeuble résidentiel pousse à peine à 5 mètres de la cour de Jean-François Bélanger, où sa famille et lui avaient l’habitude de se prélasser dans la piscine ou le spa.

La densification tous azimuts de Lévis crée des tensions dans un quartier de maisons unifamiliales de Saint-Nicolas, où des immeubles de trois étages sortent de terre à seulement quelques mètres des cours arrière. Les propriétaires affectés tentent d’obtenir une explication de la Ville depuis plus d’un an, mais peine perdue : aucun élu n’a daigné leur répondre depuis août 2022.

Depuis l’achat de sa maison en 2014, Jean-François Bélanger et sa famille jouissaient d’une vue imprenable sur le fleuve et les ponts de Québec et Pierre-Laporte. La petite famille avait l’habitude, en été, de se prélasser devant le paysage, les pieds trempés dans la piscine ou le spa.

Aujourd’hui, un édifice de trois étages en construction obstrue leur vue. L’immeuble pousse à peine à 5 mètres de leur cour et fait partie d’un projet de plus de 140 logements érigé entre la rue de la Corniche et le chemin de l’Anse-Gingras.

« Dès que j’ai vu ça monter, j’ai eu envie de mettre la clé dans la serrure et de m’en aller. L’intimité, c’est terminé pour nous, déplore Jean-François Bélanger. Je n’ai plus aucun désir de rester ici, mais présentement, c’est invendable : combien de dizaines, voire de centaines de milliers de dollars je vais perdre si je vends ma maison ? »

D’autres, dans le voisinage, subissent aussi les volontés de densification de la Ville. « Je vais avoir une voiture à 1 mètre de ma piscine », déplore André Bédard, un entrepreneur en construction qui habite la rue de la Corniche.

« Il va y avoir 24 portes-patio qui vont donner sur notre terrain », calcule Karrel Paquet, sa conjointe. Avant, une dizaine d’arbres se dressaient sur le terrain vacant situé à l’arrière de leur résidence. Il n’en reste plus que des souches. « Il y avait un arbre probablement centenaire là-dedans, le tronc devait faire au moins 6 pieds de diamètre, se souvient André Bédard. Ils ont tout coupé ça. »

Aucune réponse depuis un an

 

La semaine dernière, lui et sa conjointe ont publié, sur Facebook, une vidéo montrant l’abattage de l’arbre vénérable. Depuis, les réactions fusent : « Ça lève le coeur de voir ce que la Ville a approuvé, écrit un internaute. Pas de danger qu’ils gardent un peu de verdure pour les familles. Ils sont venus à bout de nous autres : on a sacré notre camp. »

« C’est pareil sur Guillaume-Couture à Lauzon, répond une autre à propos du boulevard qui traverse la ville d’est en ouest. Les maisons en arrière ont plein d’yeux sur leur patio. »

« Si le citoyen était vraiment au coeur des préoccupations des élus, déplorait Karrel Paquet dans une publication, ils auraient pris le temps de venir consulter, de discuter et d’entendre les citoyens concernés par ce changement majeur, cette perte de qualité de vie et de quiétude. » Pourtant, personne, à la Ville, n’a daigné leur répondre jusqu’à présent.

Photo: Francis Vachon Le Devoir André Bédard sur le terrain situé à l’arrière de sa résidence, où se dressaient auparavant une dizaine d’arbres

« J’ai écrit [au maire] Gilles Lehouillier, aux conseillers Jeannot Demers du district Saint-Nicolas, à Isabelle Demers du district Villieu, celui où nous habitons, et au conseiller du district Saint-Rédempteur, Réjean Lamontagne, pour leur demander des explications, explique Jean-François Bélanger. C’était le 25 août 2022, je les ai relancés le 23 novembre dernier. J’attends encore la réponse. »

Dans ces courriels, le citoyen prie les élus de voir « ceci comme une tentative honnête de discuter avec vous ! » Après un an d’attente, il constate qu’il est seul à vouloir ce dialogue. « Je trouve ça dégueulasse, bien franchement. Je suis né à Lévis et ça fait 46 ans que j’habite à Lévis. Je suis un bon payeur de taxes et d’avoir si peu de considérations par des gens censés nous servir, je n’en reviens pas. Je n’ai même pas eu le moindre accusé de réception ! » s’indigne le propriétaire.

Pour couronner le tout, les résidents de la rue de la Corniche affectés par la construction de l’édifice ont vu leur évaluation foncière bondir de 80 000 $ cet été. « Ça représente, calcule André Bédard, environ 800 $ de plus sur mon compte de taxes municipales. »

Bousculée par un boom immobilier

 

Depuis plusieurs années, Lévis connaît un développement fulgurant : les tours de logements en copropriété poussent là où les édifices de plusieurs étages, il y a une décennie encore, se comptaient sur les doigts d’une main.

La Ville s’enorgueillit de délivrer, année après année, un nombre record de permis de construction. Sa croissance démographique « en fait une des villes les plus dynamiques au Québec », selon la municipalité. Depuis 2016, sa population a connu une croissance de presque 12 000 citoyens jusqu’à frôler, aujourd’hui, près de 155 000 personnes.

Ce développement effréné bouscule des quartiers paisibles et pose des questions quant à la circulation engendrée par l’afflux massif d’automobilistes dans des secteurs peu habitués à accueillir des voitures.

Cynthia Darras habite une maison située sur le chemin de l’Anse-Gingras, de l’autre côté du nouveau lotissement. Elle déplore le passage incessant des camions, depuis deux ans, sur cette petite voie où deux voitures parviennent à peine à se croiser. « Ça va ressembler à quoi, s’inquiète-t-elle, quand il y aura 140 ménages dans ces immeubles-là ? La rue n’a aucun trottoir et il y a de plus en plus d’enfants qui habitent ici. La Ville attend-elle qu’il y ait un mort avant de faire quelque chose ? »

Le Devoir a tenté de parler à Isabelle Demers, membre de l’équipe au pouvoir et élue du secteur où vivent les citoyens affectés. Le journal n’a pas eu plus de chance que ces derniers et n’avait eu aucune réponse du cabinet au moment où ces lignes étaient écrites.

Action judiciaire envisagée

 

L’opposition, à l’Hôtel de Ville, n’entend pas à en rester là. Les conseillers Serge Bonin et Alexandre Fallu, du parti Repensons Lévis, demandent qu’une indemnisation financière soit accordée aux propriétaires affectés par le projet immobilier de Saint-Nicolas et que des mesures d’atténuation soit mises en place par la Ville.

Ils exigent aussi une révision de la réglementation pour que les élus puissent connaître en aval les projets immobiliers approuvés par la Ville afin de se prononcer sur ces derniers.

 

Lundi soir, Jean-François Bélanger et ses voisins comptent exprimer leurs doléances devant le conseil municipal. Le Lévisien n’exclut pas de saisir les tribunaux pour faire valoir ses droits.

« Je ne suis pas du tout contre le développement, au contraire, mais je suis contre le n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment. Je veux que le maire prenne 30 minutes pour venir regarder l’erreur monumentale que sa Ville a faite. Les politiciens, conclut-il, ne peuvent pas venir nous demander nos votes une fois tous les quatre ans et disparaître par la suite… »

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