Une installation pour interagir avec l’IA à Montréal

L’expérience en réalité virtuelle permet donc de visualiser le fonctionnement de l’intelligence artificielle, afin de comprendre la façon dont elle produit des réponses. Photo d’illustration.
Jens Meyer archives Associated Press L’expérience en réalité virtuelle permet donc de visualiser le fonctionnement de l’intelligence artificielle, afin de comprendre la façon dont elle produit des réponses. Photo d’illustration.

Converser avec une entité d’intelligence artificielle pour mieux la comprendre : c’est le pari de l’installation CHOM5KY vs CHOMSKY, qui sera présentée à partir du 6 septembre à l’Espace ONF, à Montréal.

Pendant 25 à 30 minutes, les participants à l’expérience porteront un casque de réalité virtuelle, les plongeant dans un monde immersif aux allures futuristes. Ils pourront ainsi poser des questions et converser avec CHOM5KY, une entité d’intelligence artificielle créée en partie avec les traces numériques du linguiste et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) américain, Noam Chomsky.

« On peut parler à ce Chomsky-là, échanger avec Chomsky, poser des questions, voir comment il répond. Jusque-là, tout va bien. Mais cette entité-là nous invite aussi à parcourir différentes étapes, des fois seuls, des fois avec d’autres, des fois en jeux collaboratifs, pour mieux comprendre ce qui différencie notre intelligence humaine de l’intelligence machine », explique en entrevue Sandra Rodriguez, créatrice de l’expérience CHOM5KY vs CHOMSKY, qui a elle-même enseigné au MIT pendant plusieurs années.

Son nouveau projet a pour but de démystifier le fonctionnement de l’intelligence artificielle, dans une période où cette technologie prend de plus en plus de place, et par le fait même, suscite des craintes.

« C’est encore très facile de voir les rouages [de l’intelligence artificielle], puis de comprendre que ce n’est pas magique. Il n’y a pas d’intention, il n’y a pas d’intelligence derrière, c’est vraiment juste une manière douée de formuler des phrases qui nous semble répondre à un besoin, détaille Mme Rodriguez. Quand on comprend comment ça fonctionne, on n’est pas dupe, on n’est pas en train d’imiter l’intelligence de quiconque. »

L’expérience en réalité virtuelle permet donc de regarder « sous le capot » de l’intelligence artificielle, afin de comprendre la façon dont elle produit des réponses. CHOM5KY montre aux personnes qui interagissent avec lui quelles autres formulations il aurait pu emprunter pour répondre à une question, ou quels synonymes il aurait pu utiliser, par exemple.

Après la portion de l’expérience en réalité virtuelle, les visiteurs seront invités à en apprendre plus sur l’intelligence artificielle dans un environnement physique.

« CHOM5KY, au cours du processus, nous [invite] à découvrir les rouages des machines. Mais le petit message subtil, c’est qu’il nous amène aussi à mieux nous comprendre nous-mêmes », affirme Mme Rodriguez, qui planche sur ce projet depuis 2016.

« L’un des intellectuels les plus numérisés au monde »

Pourquoi avoir choisi Noam Chomsky pour réaliser ce projet ? L’idée a émergé alors que Mme Rodriguez était professeure au MIT, et qu’un jeune chercheur lui a fait part de son projet de recherche.

« Il me disait : il y a tellement de traces numériques sur Noam Chomsky, je suis certain que si j’arrive à comprendre et à imiter comment il parle, j’arrive à comprendre comment son cerveau fonctionne », raconte-t-elle.

C’est alors que le « paradoxe de cette proposition » l’a « frappée de plein fouet ». « La grande ironie, c’est que les théories de Chomsky disent exactement le contraire », poursuit-elle. Selon M. Chomksy, il est impossible d’imiter l’intelligence humaine, parce qu’on en sait encore trop peu sur le sujet, et on ne peut donc pas imiter quelque chose qu’on ne connaît pas.

Pour la professeure, il était donc optimal d’utiliser les nombreuses traces de « l’un des intellectuels les plus numérisés au monde », incluant des conférences, des entrevues et certains de ses cours, pour créer une entité d’intelligence artificielle qui montrerait ses propres lacunes.

« À l’intérieur de ces traces-là, il y a son legs à lui, c’est-à-dire sa croyance que la créativité humaine, c’est ce qui fait notre liberté. Ça devient tout à coup un parfait média pour à la fois créer une entité d’intelligence artificielle qui nous rappelle qu’elle est limitée, qui nous rappelle ses écueils possibles, qui nous rappelle le message de Chomsky sur notre capacité à l’émerveillement, ce qui nous rend uniques comme humain, la créativité, [et] il ne faut surtout pas la perdre », détaille Mme Rodriguez.

Les traces numériques de Noam Chomsky sont disponibles en ligne, et ce, libres de droits. Mme Rodriguez a malgré tout informé M. Chomsky, aujourd’hui âgé de 94 ans, de son projet, auquel il a pris la décision de ne pas participer.

Plus de transparence nécessaire

Lors d’une conférence, tenue mercredi, dans le cadre du lancement imminent de CHOM5KY vs CHOMSKY, Sasha Luccioni, chercheuse en intelligence artificielle éthique et durable pour l’entreprise HuggingFace, a fait valoir l’importance que les compagnies développant des entités d’intelligence artificielle fassent preuve de plus de transparence.

« Les compagnies en disent de moins en moins sur comment leurs données ont été récoltées, sur combien de gens ont entraîné leur algorithme, et [combien] est-ce qu’ils ont été payés. […] Malheureusement, je trouve qu’au lieu de prôner la transparence, ce qui mènerait éventuellement à une régulation [c’est un secret] », déclare Mme Luccioni.

Elle rappelle que l’intelligence artificielle n’est pas créée « par magie », et qu’au contraire, elle implique beaucoup d’intelligence humaine. Des logiciels comme ChatGPT sont basés sur des données diffusées en ligne par des humains (comme des sites web d’informations), et plusieurs personnes sont engagées pour perfectionner ces logiciels, souligne-t-elle.

Mme Luccioni souligne que la diffusion des modèles d’intelligence artificielle serait utile pour les chercheurs, mais aussi pour la compréhension du fonctionnement de cette technologie par la population.

L’expérience CHOM5KY vs CHOMSKY sera présentée jusqu’au 15 octobre.

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