Une bibliothèque idéale de la bourlingue

Carolyne Parent
Collaboration spéciale
« On définit ce que l’on est et ce que l’on n’est pas sur la route », affirme la professeure Isabelle Falardeau.
Photo: iStock « On définit ce que l’on est et ce que l’on n’est pas sur la route », affirme la professeure Isabelle Falardeau.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Quels sont les grands récits de voyage d’hier et d’aujourd’hui que tout voyageur devrait lire ? Nous avons fait enquête…

Recenser les épopées incontournables de la littérature du périple, les carnets de voyage qui ont marqué leurs époques, les grands classiques de la bourlingue, ceux d’hier comme ceux de demain… vaste programme ! Du Livre des merveilles de Marco Polo aux écrits de Sylvain Tesson en passant par ceux d’Ella Maillart, par où commencer ?

Par des experts ! Nous avons demandé à un bibliothécaire, deux libraires, un éditeur, deux professeures et un voyageur de nous faire connaître leurs titres préférés. Le but de l’exercice ? Ouvrir une fenêtre sur de vraies de vraies aventures, de celles qui nous transportent au bout du monde pour mieux l’éclairer.

À la découverte de l’Autre

Chez Gallimard, boulevard Saint-Laurent, à Montréal, le libraire Olivier Boisvert, féru de récits d’ailleurs, recommande justement deux titres « vivement et sans discontinuer, car ils représentent la richesse de la découverte de l’Autre ». D’abord, Lisière de la Bulgare Kapka Kassapova, qui traite de la « frontiérisation » du monde. Pourquoi ? « Parce que l’autrice livre un récit ample et riche, trempé dans la singulière mythologie des lieux de transit », dit-il.

Son second ouvrage coup de coeur est Dans la nuit arctique. « Le pilote québécois Yann Fourny manie le journal d’expédition tel un aventurier cartographe du début du XXsiècle ! note M. Boisvert. Son récit, qui frise le génie, éclaire les nombreuses injustices liées à la paternité des découvertes et offre tous les frissons des explorations insensées qui nous fascinent. »

Au nom de « leur désobéissance, de leur audace, de leur désir d’affirmation », Emmanuelle de Broin-Verret, professeure de français à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, met en avant deux grandes exploratrices d’hier et leurs récits. « D’abord, Voyage d’une Parisienne à Lhassa d’Alexandra David-Néel. En 1924, déguisée en mendiant, car le Tibet est alors interdit aux Occidentaux et aux femmes, elle va traverser la Chine d’est en ouest dans la peur d’être démasquée. Il y a donc le suspense lié à ce défi sur fond de spiritualité bouddhiste. C’est remarquable, et je ne comprends pas que ce ne soit pas lu davantage ! » s’exclame-t-elle.

Elle suggère aussi La voie cruelle d’Ella Maillart, qui met à mal « le cliché du voyage qui guérit, comme dans Wild [de Cheryl Strayed] ». « Elle voyage en voiture en Afghanistan avec une amie qui ne va pas bien [bien mauvais pays pour une toxicomane !]. C’est un récit très documenté, mais qui traite aussi de deuils, d’amitié et porte un regard féminin sur d’autres femmes. Et puis, ça se déroule à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, et c’est intéressant de ce point de vue là aussi. »

N’eût été la consigne, soit des récits non fictifs, Daniel Desjardins, président-fondateur des Guides de voyage Ulysse, aurait sans doute suggéré L’odyssée d’Homère, fabuleuse oeuvre de mythologie ! Il a plutôt jeté son dévolu sur Journal du voyage de Siam 1685-1686, de l’abbé de Choisy. « Cela raconte le voyage de la première ambassade de France vers la Thaïlande, alors appelée Siam, et porte un regard “innocent” sur le mode de vie thaï, au XVIIe siècle, dit-il. C’est fascinant, car c’est comme si Jacques Cartier était allé en Thaïlande et qu’on y était aussi ! »

Aux sources du tourisme

Professeure en tourisme et en développement social au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Isabelle Falardeau retient Mémoires d’un touriste (1838), de Stendhal, oeuvre littéraire où on trouve une des premières utilisations du mot « touriste », souligne-t-elle. « Ce qui en fait l’intérêt, ce ne sont pas les lieux visités, au jour le jour, en France, mais son vrai sujet, la nature de l’être humain, dit-elle. Il devrait résonner chez les adeptes du tourisme lent. »

Sa deuxième suggestion est Du diesel dans les veines, de Serge Bouchard, publié peu de temps avant son décès. « Assis côté passager, avec les camionneurs, ce conteur exceptionnel fait la route des grands chantiers du Nord. C’est, pour lui, “le bout d’un très long voyage, comme un bon chauffeur qui a traversé trois tempêtes et tant de misères que plus personne ne l’attendait en fin de course”. Voilà pourquoi il faut lire ce livre. »

Martin Rémillard, bibliothécaire entre autres responsable de la collection de géographie et de voyage de la Grande Bibliothèque, est allé lorgner du côté de « la besace de Sylvain Tesson, qui contient plusieurs pépites ». Du lot, il retient L’axe du loup. De la Sibérie à l’Inde, sur les pas des évadés du goulag et sa version abrégée accompagnée de photographies, Sous l’étoile de la liberté. Six mille kilomètres à travers l’Eurasie sauvage. « De Yakoutsk à Calcutta, l’auteur multiplie les rencontres afin de retrouver la trace des fugitifs des camps de concentration soviétiques. Ce projet a été inspiré par le récit de Slavomir Rawicz, qui raconte son évasion du goulag dans À marche forcée. À pied, du cercle polaire à l’Himalaya, 1941-1942, récit haletant, mais dont la véracité est aujourd’hui contestée. »

Il recommande aussi fortement Chroniques de Jérusalem, Chroniques birmanes et Pyongyang du bédéiste québécois Guy Delisle : « L’auteur croque de multiples scènes de la vie quotidienne qui immergent le lecteur dans l’histoire et la culture des pays visités. »

L’attrait du Nord

Pour Floriane Claveau, du groupe Renaud-Bray–Archambault, « L’Antarctique, le rêve d’une vie de Mike Horn est un incontournable, qui a une belle vie en librairie ». M. Rémillard nous avait également mentionné ce titre, l’auteur étant selon lui « l’aventurier extrême par excellence ».

Un autre aventurier, celui-là cycliste et québécois, Jonathan B. Roy, suggère Promenons-nous dans les boisde Bill Bryson : « Il nous emmène marcher sur le très long sentier des Appalaches, et sa route est semée d’embûches et de rencontres. Les meilleurs passages sont ceux qu’il partage avec Stephen Katz, un ami de longue date, et lorsqu’il décrit la faune typique des marcheurs. Il démontre que les grandes aventures ne sont pas limitées aux jeunes au sommet de leur forme… »

Celui qui a mouliné dans 40 pays sur trois continents et est lui-même auteur nous invite aussi à plonger dans une aventure extrême : La quête du retour. 31 jours à traverser le Québec de Montréal à Kuujjuaq, à vélo et en canot de Samuel Lalande-Markon. « Le journal de bord de ce poète au moral d’acier est formé de défis, de réflexions et d’admiration pour notre terre, dit-il. Il nous place devant notre méconnaissance de l’énorme territoire qui est le nôtre et nous donne envie de suivre ses audacieuses traces. »

Le mot de la fin

Donnons le mot de la fin à la professeure Isabelle Falardeau et à… Jack Kerouac. « Son récit Sur la route [largement autobiographique] est à lire ou à relire parce que l’appel de la route continue d’être ressenti par les backpackers comme par les adeptes de la vanlife, voire du camping, même de luxe. L’ouvrage en est en quelque sorte le mythe fondateur. »

Pour l’avide lectrice, il est fascinant de constater combien le voyage et le type de voyage sont fortement associés à l’identité. « On définit ce que l’on est et ce que l’on n’est pas sur la route, dit-elle. Depuis ce récit, le phénomène touristique s’est démocratisé, mais on affirme et on affiche toujours notre distinction par nos propres aventures et voyages. “Parce que mon pote, la route doit en fin de compte nous mener dans le monde entier. Il n’y a pas un coin où elle ne puisse aller, hein ?” »

Titres à succès

Wild de Cheryl Strayed. « C’est le récit de voyage qui nous est le plus souvent demandé », note Olivia Sofia, chez Un livre à soi, une accueillante librairie indépendante du Plateau. Il s’agit des mémoires de l’autrice au fil de sa randonnée en solitaire de plus de 1000 kilomètres sur le chemin des crêtes du Pacifique.

L’usage du monde de Nicolas Bouvier. « C’est le titre qu’on me demande le plus souvent, sans doute parce qu’il est à la source de beaucoup de récits de voyage contemporains. En plus, il raconte un monde européen méconnu et pas mal révolu ! » souligne Olivier Boisvert, libraire chez Gallimard.

L’axe du loup et Géographie de l’instant, de Sylvain Tesson, ainsi que Latitude zéro et L’Antarctique. Le rêve d’une vie, de Mike Horn, sont des ouvrages à succès chez Renaud-Bray–Archambault.

La frousse autour du monde de Bruno Blanchet (vol. 1 et 2), La panthère des neiges et Sur les chemins noirs de Sylvain Tesson, ainsi que Promenons-nous dans les bois de Bill Bryson, sont les récits de voyage les plus souvent empruntés à la Grande Bibliothèque.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.



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