Tourisme durable: agir en conséquence

Carolyne Parent
Collaboration spéciale
Venise est assaillie par les visiteurs, faute de mesures pour protéger la destination du surtourisme.
Photo: Carolyne Parent Venise est assaillie par les visiteurs, faute de mesures pour protéger la destination du surtourisme.

Ce texte fait partie du cahier spécial Plaisirs

Aux voyageurs inquiets du sort de la planète et de leur empreinte sur celle-ci, le géographe et chercheur français Rémy Knafou suggère d’être (vraiment) plus conscients des problèmes du tourisme et d’agir en conséquence…

En 2021, en pleine pandémie, Rémy Knafou, pionnier de l’étude du tourisme en France, faisait paraître un ouvrage-choc : Réinventer le tourisme. Sauver nos vacances sans détruire le monde (Éditions du Faubourg). Aux voyageurs comme aux décideurs de l’industrie touristique, il y proposait, de façon ultra limpide, plusieurs solutions concrètes au problème de la conciliation des pratiques du tourisme et de la protection de la planète, que nous avions rapportées en ces pages. Comme il craignait qu’une fois la crise traversée, le système touristique mondial ne redémarre comme si de rien n’était, l’auteur a voulu porter à l’attention de tous de nouveaux modus operandi potentiels.

Moins de deux ans plus tard, M. Knafou revient à la charge, car force est de constater qu’il avait vu juste. Selon l’IATA, quelque 4,35 milliards de personnes voyageront cette année, soit presque autant qu’en 2019 (4,54 milliards). Dans Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable, il élargit sa réflexion, et nous en avons discuté avec lui.

Quelles sont ces hypocrisies du tourisme durable ?

Le tourisme durable est une idée ancienne (1995), mais trop souvent détournée par nombre d’entreprises touristiques qui s’en servent comme un argument pour nous vendre des voyages toujours plus nombreux, lointains, polluants. Des exemples ? Lorsqu’un navire de croisière d’une capacité de plus de 6000 passagers se présente comme durable parce qu’il n’utilise plus de fioul lourd, mais continue de brûler du gaz et de polluer ports et océans. Lorsque l’aviation, dont le trafic reprend de plus belle, nous parle d’avions verts alors qu’il s’agit de projets encore lointains. Lorsque le classement UNESCO est dévoyé à des fins touristiques, soit davantage utilisé pour accroître la fréquentation des sites que pour les protéger. Lorsque le maire de Venise dénonce l’excès de touristes alors qu’il n’a rien fait pour empêcher la transformation de logements en locations touristiques temporaires (cette année, le nombre de lits touristiques atteint le nombre de Vénitiens) et que tous les quartiers sont désormais touchés, y compris les plus périphériques. Lorsque Sir Bani Yas (Abou Dhabi) est élue « meilleure destination touristique durable » alors que s’y rendre exige une débauche d’énergie fossile…

Et les plus graves d’entre elles ?

Le tourisme en Antarctique, parce qu’il n’y a même pas l’excuse de provoquer des retombées économiques locales et que s’y rendre exige de franchir plus de 15 000 kilomètres. Le comble de l’hypocrisie étant de présenter les croisières comme investies d’une mission scientifique, et la compensation carbone, qui n’encourage pas à la sobriété en nous promettant un échange inégal : celui d’une dégradation avérée au présent contre une hypothétique solution dans un avenir lointain.

Mais alors, que peut faire le voyageur qui veut… préserver ses vacances sans détruire le monde ?

C’est là que les difficultés commencent : la prise de conscience conduit à opter pour la sobriété, c’est-à-dire à voyager moins, moins souvent, moins loin, ou à renoncer à certains voyages. Cela demande donc une prise de conscience et la mise en conformité de sa pratique, et c’est le plus difficile, car on voit bien que les prises de conscience sont plus nombreuses que les changements réels de pratique. Par exemple, j’avais le projet de faire un voyage en Patagonie, j’y ai renoncé. Je l’ai remplacé par un voyage en Italie du Nord, où je me suis rendu en train.

Le contexte ferroviaire européen offre tout de même aux voyageurs plus de possibilités d’évasions durables que les infrastructures nord-américaines…

Certes, l’Europe a un réseau ferroviaire encore assez dense, mais a abandonné pas mal de lignes internationales et la plupart des trains de nuits internationaux. Ce n’est que depuis peu que des liaisons internationales performantes réapparaissent. Mais même en Europe, il faut beaucoup de vertu pour préférer le train à l’avion low cost, car le train demeure en moyenne nettement plus cher. Par ailleurs, mon Paris-Milan a duré 6 heures 37 minutes : il faut réapprendre à passer du temps dans les moyens de transport au lieu de le tronçonner en sections multiples avec de nombreuses attentes, comme c’est le cas pour l’avion.

Vous prônez un tourisme plus inclusif, soit un accès plus large aux vacances, comme moyen de réussir la transition climatique. C’est un joli paradoxe : encore plus de touristes, ça peut aider la planète ?

Encore plus de touristes, certes (de toute façon, c’est inexorable), mais pas partout et pas n’importe comment. Et il y a d’importantes marges de progression pour mieux répartir les émissions de gaz à effet de serre quand on considère les considérables inégalités sociales en la matière : un touriste spatial, en 10 minutes, émet plus de CO2 qu’un milliard d’humains pendant toute leur vie !

Dans les faits, le tourisme n’aura de chances de réussir la transition climatique que si celle-ci s’accompagne d’une transition sociale vers un modèle plus inclusif, car un modèle plus sobre énergétiquement et plus ouvert socialement a plus de chances d’être compris et adopté par une majorité de Terriens. Sans réduction des inégalités, pas de tourisme durable.

Vous dites qu’en mettant l’accent sur l’expérience personnelle plutôt que sur la consommation de produits touristiques standardisés, on est plus à même de comprendre les lieux qu’on visite et de se responsabiliser. Un exemple concret ?

La « bibliothèque vide » de la Bebelplatz, à Berlin, réussit, en montrant une absence (celle des livres brûlés par les nazis le 10 mai 1933) à travers une simple dalle de verre, à susciter la curiosité et, ainsi, l’implication du visiteur.

Dans la mesure où mes collègues journalistes de tourisme et moi-même contribuons à la « touristification » du monde, devrions-nous changer de métier ?!

Non, car nous avons grand besoin de journalistes professionnels qui informent, éclairent, aident à comprendre les enjeux et ne soient pas seulement des relais de ceux qui ont quelque chose à nous vendre, lesquels dominent sans partage le discours sur le tourisme.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

À voir en vidéo