Olivier Normand, sur les traces de Robert Lepage

Le comédien Olivier Normand sera la tête d’affiche de la pièce Courville, de Robert Lepage.
Valérian Mazataud Le Devoir Le comédien Olivier Normand sera la tête d’affiche de la pièce Courville, de Robert Lepage.

En passe de devenir un acteur « lepagien » en bonne et due forme, un peu comme Yves Jacques ou Marc Labrèche — qui ont tous deux repris des solos de Robert Lepage —, Olivier Normand prend le relais de Courville, créé à Québec en 2021.

Or, ce n’est pas la première incursion du comédien dans l’univers du réputé créateur. Il a saisi le témoin tendu par Labrèche, en 2016, au cours de la tournée internationale du spectacle Les aiguilles et l’opium, il était de la distribution de Jeux de cartes. Coeur et a même joué dans la pièce Vinci, quoique dans une mise en scène originale de Frédéric Dubois.

Cette production, montée au théâtre Périscope en 2015, lui a permis d’aborder l’oeuvre du directeur artistique d’Ex Machina avec une certaine liberté : « J’ai pu m’approcher d’un solo de Lepage, mais sans regarder la cassette, explique-t-il. J’ai pu visiter son écriture. »

Il a d’ailleurs constaté que celui-ci, à son avis, manie la plume « comme un improvisateur. Je voyais que certaines scènes étaient construites en trois morceaux : on sème un élément ici, un élément là et on ferme tout ça à la fin. »

Ce comédien, auteur et metteur en scène de Québec a néanmoins dû regarder la « cassette » lorsqu’il a repris Les aiguilles et l’opium, car il n’a eu que quelques jours pour sauter dans les souliers de son prédécesseur. « Le spectacle avait beaucoup joué déjà, alors j’entrais dans une machine qui roulait. En même temps, quand un interprète de talent est passé avant toi, il a déblayé un chemin qui est vraiment l’fun. »

Courville, en revanche, était moins pérennisé lorsqu’il s’est glissé dans le rôle de Simon, un sculpteur d’un certain âge qui raconte, à l’aide de marionnettes de type bunraku (une tradition ancestrale japonaise), son adolescence, ses insécurités et ses questionnements d’ordre sexuel.

Lepage a même apporté plusieurs changements à cette fresque théâtrale, l’a resserrée notamment, un processus de recherche et de polissage que Normand a grandement apprécié et qui lui a permis de s’approprier le spectacle, qu’il considère comme « l’un des plus difficiles techniquement » auxquels il a pris part.

En effet, s’il est le seul à prendre la parole sur scène, au nom du narrateur qu’il incarne, mais aussi en donnant voix à toutes les marionnettes qui évoluent autour de lui, celles-ci sont manipulées par trois marionnettistes, dont les mouvements sont chorégraphiés au quart de tour.

Et c’est sans compter le décor « vraiment très pentu » qui se transforme, laissant surgir le sous-sol d’une maison de banlieue — Courville, en l’occurrence — où le jeune héros a trouvé refuge après le décès de son père et l’intrusion de son oncle, rustre et mesquin, dans la cellule familiale.

Pour Olivier Normand, le fait que le protagoniste raconte son histoire « lui donne une certaine emprise sur les événements », lui permet « d’en tirer du sens ». Car, de l’avis de l’artiste, « un des rôles de la fiction est de mettre de l’ordre dans le chaos ».

Jongler avec ses talents

On pourrait craindre que les considérations techniques concernant les marionnettes et le dispositif scénique entravent le travail d’incarnation du comédien, mais, au dire du principal intéressé, il n’en est rien. « Même s’il y a des choses très précises à faire dans le spectacle, je trouve quand même des espaces pour jouer, pour atteindre l’émotion. Ça dépend des acteurs, bien sûr, mais moi, ça m’aide. C’est comme si j’avais des barreaux auxquels je peux m’agripper. » Et à partir desquels il peut s’élancer en vrilles et figures diverses.

Une métaphore bien circassienne, ce qui ne saurait être un hasard puisque Normand conjugue à sa pratique théâtrale — qui inclut non seulement le jeu, mais la création de spectacles tels St-Agapit 1920 et la mise en scène de pièces remarquées, dont Run de lait (en collaboration avec son auteur, Justin Laramée) — un riche parcours de metteur en piste.

On lui doit, entre autres, l’orchestration du tout premier opus de la compagnie Flip Fabrique, Attrape-moi, ainsi que celle des productions présentées gratuitement en extérieur, dans la capitale, Feria et Crépuscule.

Cette multidisciplinarité le sert, estime-t-il, en tant que comédien : « Ce sont des cordes à mon arc. J’ai fait de la gymnastique quand j’étais jeune, j’ai également joué du violon… j’ai fait pas mal de choses, car mes parents savaient très bien contrôler mon hyperactivité, relate-t-il en riant. Je ne deviendrai jamais violoniste, mais d’avoir cette corde à mon arc, je trouve que ça donne de la profondeur à mon travail d’acteur. Je ne suis pas du tout un acrobate non plus, mais je suis acrobatique pour un comédien. Ça aussi ajoute à mon jeu, ça lui donne un aspect tridimensionnel. C’est la même chose pour mon travail de mise en scène. »

Lepage et Normand planchent d’ailleurs tous deux sur un spectacle de cirque, Arène – Lutte Cirque Théâtre [titre de travail], au sein duquel ce dernier tient le rôle de consultant artistique. « C’est la première fois que je suis [invité] aussi tôt dans le processus. Ça reste la mise en scène de Robert, mais le directeur de production, Steve Blanchet, et moi sommes là depuis le début. » Le consultant prise tout particulièrement le fait d’assister à la genèse de la création, de voir quelles sont « les premières pistes » empruntées.

Verra-t-on, un jour, naître une oeuvre cosignée par ces deux artistes qui semblent partager de fécondes affinités créatives ? Le nouvel interprète de Courville répondrait certainement présent à l’appel. Qui sait, un héritier lepagien est peut-être né.

Courville

Texte et mise en scène : Robert Lepage. Avec Olivier Normand. Au théâtre du Nouveau Monde, du 12 septembre au 7 octobre.

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