Le théâtre Prospero passe aux «billets solidaires»

Les codirecteurs généraux du Théâtre Prospero, Vincent de Repentigny (à gauche), et Philippe Cyr, qui est aussi directeur artistique.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Les codirecteurs généraux du Théâtre Prospero, Vincent de Repentigny (à gauche), et Philippe Cyr, qui est aussi directeur artistique.

Pour sa nouvelle saison, le Théâtre Prospero adopte à son tour des « tarifs inclusifs ». Le spectateur choisira lui-même, lors de l’achat, le prix de son billet entre quatre options allant de 25 $ à 50 $.

Après l’OFFTA et sa « tarification solidaire de pandémie », après le dernier festival Carrefour international de théâtre, voilà donc un « théâtre à saisons » — et une première institution — qui se tourne vers cette billetterie autrement dynamique, puisqu’elle s’adapte plutôt aux besoins et aux moyens sonnants et comptants du spectateur.

« On a vraiment envie que le théâtre, et notre théâtre, soit accessible », explique d’emblée au Devoir Philippe Cyr, directeur artistique et codirecteur général du Prospero. Et ce désir d’accessibilité vient aussi du besoin terre à terre de l’institution de renouveler son public.

On a vraiment envie que le théâtre, et notre théâtre, soit accessible.

Désormais, ce théâtre propose à chacun de choisir « le tarif le mieux adapté à [sa] situation ». « Aucune justification ne sera demandée » entre le billet accessible à 25 $, le réduit à 35 $, le régulier à 42 $ et le solidaire à 50 $. « Ce dernier billet est plus cher, car il y a aussi des gens qui ont nettement les moyens et qui sont prêts à encourager les arts », précise M. Cyr.

Les bons vieux abonnements demeurent, encore en style libre pour l’acheteur, avec un rabais progressif selon le nombre de spectacles auquel il veut assister. Ainsi, un rabais de 20 % s’applique pour de 3 à 5 spectacles, par exemple, ou de 35 % pour 10 spectacles et plus.

L’âge d’être riche, l’âge d’être pauvre

Plusieurs théâtres et diffuseurs explorent ces dernières années de nouvelles manières d’offrir des billets à plus bas prix. Le Théâtre Aux Écuries, par exemple, a instauré les « Vendredi Dis-ton-prix » il y a cinq ou six ans. Le Théâtre Denise-Pelletier, de son côté, donne 500 billets gratuits aux résidents de son arrondissement, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Faisant le point sur la première expérience de Carrefour international de théâtre, la directrice générale Dominique Violette soulignait en juin au Devoir qu’en matière « d’organisation, [une billetterie inclusive] exige beaucoup de vigilance, de surveillance au jour le jour de billetterie, [et] donc, de temps ». « Pour un festival comme nous, oui, ça vaut la peine et on va le refaire », continuait-elle. « Est-ce qu’un théâtre à saison pourrait se permettre de faire ça ? Je ne sais pas. » Et sur tous les billets ?

Philippe Cyr et Vincent de Repentigny ont envisagé le problème d’un autre angle avant de répondre par l’affirmative.

« L’ancienne grille tarifaire du Prospero « était ben compliquée », rappellent en entrevue téléphonique les deux hommes arrivés en 2021 à la tête du théâtre. M. de Repentigny y devenait codirecteur général. « Il y avait des dizaines de prix possibles ; et avec des rapports à l’âge qui nous turlupinaient : des prix étudiants, pour 30 ans et moins, ou pour 65 ans et plus par exemple. »

« On trouvait ça d’un autre temps comme critères. L’âge n’est pas garant d’un revenu plus ou moins grand. Et on le constate particulièrement maintenant, en pleine inflation, avec l’explosion des prix… de tout ! »

Confiance et appétit

 

Le système de billetterie inclusive est basé sur la confiance. Le Prospero a aussi posé des garde-fous : « On n’a pas de billets à 0 $ comme le festival Carrefour [international de] théâtre en proposait en juin dernier. C’est une grosse différence. » « C’est qu’on fait aussi de la codiffusion avec de jeunes compagnies, avec qui on partage les recettes et à qui on ne veut pas imposer cette prise de risque. On s’est gardé une petite gêne », poursuivent les directeurs.

Et le risque, justement ? Le Prospero craint-il une chute des prix, un déficit potentiel, un abus des billets au plus bas prix ? Vincent de Repentigny relativise tout de suite en rappelant que toutes les productions théâtrales « au Québec sont déficitaires en partant ». « Ce n’est qu’avec les subventions que les budgets tiennent. »

« Ça fait littéralement quatre jours que la billetterie est ouverte, précise M. Cyr, il est beaucoup trop tôt pour qu’on voie ce que ça donne. On constate un volume inhabituel d’achat de lancement de saison. On lit ça comme une forme d’enthousiasme. » Et une reconnaissance de l’initiative. « L’annonce Facebook de la nouvelle tarification est la publication du Prospero qui a été la plus partagée de tout temps. On voit dans ça un appétit pour ce genre d’initiative. »

Reste à attendre pour voir et savoir si cet appétit-là tiendra, et comment les spectateurs jongleront avec leurs faims et leurs moyens.

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