«Fausse balle»: le sport qui rassemble les communautés

Une scène de la pièce Fausse balle présentée sur un terrain de baseball
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Une scène de la pièce Fausse balle présentée sur un terrain de baseball

En un beau matin de juin, le terrain de balle du parc Walter-Stewart est le théâtre d’un enchaînement de la pièce Fausse balle. Des passants s’arrêtent, intrigués, séduits par ce drôle de match de baseball imaginaire baigné de musique et d’humour. Un avant-goût de ce projet original qui prendra l’affiche cet été, gratuitement, dans les stades d’une dizaine d’arrondissements de l’ancienne ville des Expos, d’Anjou à Saint-Laurent.

Cette pièce de baseball est un vieux rêve pour son idéateur, Jean-Philippe Lehoux, grand fan depuis toujours de ce jeu qui, en plus d’être une activité sportive très accessible, offre un véritable « rituel estival » de rencontre. C’est en voyant un match entre Montréalais d’origine cubaine (« Il y a beaucoup de ligues latinos ici, d’un niveau exceptionnel »), avec l’ambiance festive régnant dans les gradins, que l’auteur de Comment je suis devenue touriste et de L’écolière de Tokyo a eu l’idée de Fausse balle. Un spectacle écrit en collaboration avec Charles Dauphinais, Ariana Pirela Sánchez — qui signent aussi conjointement la mise en scène — et Yohayna Hernández.

Ce sport « très panaméricain » a une riche histoire, selon Lehoux, qui a beaucoup lu sur le sujet. Le dramaturge a ainsi été surpris d’apprendre que les Québécois francophones avaient adopté le baseball dès la fin du XIXe siècle. « Ce sont beaucoup les prêtres qui s’étaient emparés de ce sport-là, rapporté des collèges américains, pour faire jouer les jeunes dans les écoles. » Un choix qui s’est fait « beaucoup en réaction contre les sports britanniques, qui étaient très élitistes : le polo, le curling… Ce sont des sports coûteux, nécessitant des équipements qui n’avaient pas de bon sens. Pour le baseball, ça prend un champ — c’est très pastoral —, un bâton, une balle et on peut jouer ». Quant à l’Amérique latine, des « révolutionnaires cubains » y ont propagé la pratique dans le reste du territoire.

Originaire du Venezuela, où le baseball, sport national, est très important, Ariana Pirela Sánchez témoigne de son caractère abordable, populaire. « Dans beaucoup de villages et de quartiers très pauvres, c’est aussi un espoir pour les gens de pouvoir améliorer leur qualité de vie. Donc, [les Vénézuéliens] jouent depuis qu’ils sont tout petits. Et pas avec de vrais bâtons. Juste avec un manche de balai et des bouchons [au lieu de balles]. On s’entend que si tu arrives à frapper un bouchon avec ça, après tu es bon ! [rires] » 

Le dernier match

Le récit a été inspiré par l’histoire réelle d’un groupe qui s’était battu pour conserver le terrain de baseball du parc Jeanne-Mance. Fausse balle déroule l’ultime match d’une équipe d’amateurs qui doivent renoncer à leur passe-temps adoré parce que l’aire de jeu deviendra un parc à chiens. Une bande bigarrée, réunissant des joueurs et des joueuses de cultures très diverses et ayant des aptitudes sportives très variées. Il y a par exemple l’anxieux « Balloune », qui laisse toujours échapper les balles ; le mystérieux lanceur, aux motions stylisées, qui ne parle jamais… Et à côté du terrain, assise à un kiosque aussi coloré que l’est le personnage, l’annonceuse (la savoureuse Dominique Quesnel) qui décrit l’action, comme elle le fait depuis 37 ans.

Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’équipe de la pièce, Charles Dauphinais, Jean-Philippe Lehoux (avant-plan), Ariana Pirela Sánchez et Yohayna Hernández

Pour Jean-Philippe Lehoux, le gros de l’écriture — « et ça a été très long » — a consisté à décrire le déroulement d’un vrai match, avec chacune des actions sportives. Et à travers le baseball, « qui a ses codes, ses moments forts, les personnages se révèlent, de différentes façons ». Mais de manière « quand même retenue, parce que les gens ne se connaissent pas tant que ça quand ils jouent ensemble au baseball. Souvent — je le sais pour avoir joué moi-même dans des ligues —, on ne parle pas d’autre chose que du match. C’est une communauté assemblée autour d’une passion ».

Et afin de retenir l’attention volatile du public dans un contexte extérieur, la co-metteuse en scène a beaucoup travaillé sur la dimension physique : « On chorégraphie l’espace et les corps à travers les actions sportives. Parfois les mouvements sont très réalistes, parfois ils sont stylisés. Mais il y a aussi des moments où cela devient vraiment de la danse. » Sans dévoiler certains punchs, disons que la pièce intègre plusieurs courtes chorégraphies collectives.

Cohabitation

La cohabitation entre les différentes communautés montréalaises est au coeur du spectacle, porté par 15 interprètes de langues et d’origines diverses, qui font entendre certaines répliques en espagnol ou en anglais. « Ce n’est pas dit littéralement dans le récit, mais on le voit, expose Ariana Pirela Sánchez. La rencontre a lieu à travers le sport. Je pense qu’on le sent beaucoup dans la pièce. Et il y a des moments très touchants dans le texte, où on sent le poids de certains vécus, comme l’histoire d’un personnage qui a immigré, ce qu’il a vécu avant d’arriver ici. Mais il est intégré dans l’équipe. Il n’y a pas de rejet. C’est un espace possible pour coexister tous ensemble. Une cohabitation entre les différentes personnalités qui forment une équipe de baseball. »

Si Fausse balle est une comédie, son quatuor de créateurs a tenu à ce qu’on ait accès à l’intimité et à la fragilité de certains joueurs. « Ensemble, on avait quelque chose à dire, explique Jean-Philippe Lehoux. Ce n’est pas pour rien qu’on s’est mis à quatre pour réfléchir à des sujets qui nous tenaient à coeur. Comme la communauté après l’exil : c’est important, cette acceptation-là. » De « retrouver une famille », comme le dit Ariana Pirela Sánchez. Le dramaturge est d’accord : « Ce n’est pas nouveau comme idée, mais le baseball est basé sur une métaphore assez jolie : on revient à la maison. On part du home plate [ce qu’on appelle le marbre en français], on fait le tour et on revient. Pour nous, c’était évidemment une image extrêmement forte, par rapport au parcours de certains personnages. Donc, chacun garde un lien avec sa maison. »

Entre les scènes drôles ou d’action surgit donc parfois ce qu’ils appellent « un moment de suspension », où le temps s’arrête et où on sort du match pour faire place à un monologue intérieur, ou même à un solo de danse.

Coproduite par les maisons de la culture, et sillonnant plusieurs quartiers qui vont orchestrer chacun leur propre fête communautaire autour de la pièce, Fausse balle présente aussi l’avantage potentiel de rejoindre un public qui ne fréquente pas nécessairement le théâtre, d’ordinaire. Pour Jean-Philippe Lehoux, il importait ainsi de présenter la pièce également « dans des parcs plus éloignés d’une certaine offre culturelle du centre ».

Le sport peut donc servir de clé pour faire découvrir le théâtre. C’est ce qu’espère l’auteur. « Je serais très heureux que des gens viennent voir un show de baseball et se fassent ensuite aspirer par l’histoire. Puis qu’on soit tout d’un coup dans un moment de poésie, qui n’a plus rien à voir avec le sport, où on bascule un peu plus vers l’art. C’est ce qu’on veut, ce mariage-là. »

Fausse balle

Texte : Jean-Philippe Lehoux, en collaboration avec Yohayna Hernández, Charles Dauphinais et Ariana Pirela Sánchez. Mise en scène : Charles Dauphinais et Ariana Pirela Sánchez. Une production du Théâtre Hors Taxes, en collaboration avec les maisons de la culture de Montréal. Jusqu’au 30 août.

À voir en vidéo