À Avignon, Tiago Rodrigues veut du pluralisme, de l’écologie et un peu de québécitude

Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, veut consacrer une partie de chaque édition à une langue invitée. Cette année, il a choisi l'anglais.
Photo: Christophe Raynaud de Lage Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du Festival d'Avignon, veut consacrer une partie de chaque édition à une langue invitée. Cette année, il a choisi l'anglais.

Quand change la direction du Festival d’Avignon, c’est tout l’écosystème du théâtre européen occidental qui se meut, emporté en tourbillon au coeur des imposants cercles d’influence du plus grand festival francophone de spectacle vivant. On avait donc hâte de vivre notre premier Avignon revu et corrigé par le metteur en scène d’origine portugaise Tiago Rodrigues, pour mesurer jusqu’où ce vent nous mènera au fil des prochaines années. En effet, c’est à Avignon que se circonscrivent et se répercutent les plus grandes tendances de l’époque en arts de la scène, avec lesquelles la direction a le devoir de se mettre en phase. Ses prédécesseurs de la décennie 2000, Hortense Archambault et Vincent Beaudriller, l’avaient fait en valorisant à fond l’interdisciplinarité, le performatif, les dramaturgies déconstruites et le théâtre d’écrans. Olivier Py, qui a pris les commandes entre 2014 et 2022, a quant à lui bifurqué vers un théâtre plus textocentriste, mais souvent militant, voire activiste — épousant une tendance des scènes contemporaines à se modeler aux luttes de la gauche intersectionnelle.

Dessiner notre époque à travers les formes artistiques qui la façonnent est une mission que Tiago Rodrigues prend au sérieux. « Je ne suis pas là pour imposer mes goûts, mais pour traduire, à l’aune de notre temps, les valeurs fondatrices d’exigence et d’accessibilité qui animaient le fondateur, Jean Vilar », nous dit-il alors qu’on le rencontre dans son bureau au deuxième étage du Cloître Saint-Louis.

« La pluralité esthétique et la multiplicité des idées sont l’essence du festival, qui est un espace de conversation démocratique, souligne Tiago Rodrigues. La scène théâtrale actuelle est d’ailleurs vraiment extrêmement multiple, moins facilement assimilable à des courants clairs. Je ne crois pas qu’on pourra dégager de mon directorat une adhésion à des formes scéniques en particulier, comme ça a pu être le cas de certains de mes prédécesseurs. Simple question d’époque. »

Quelques chemins à suivre

Tout de même, le nouveau directeur ose prédire que les formes de théâtre activiste ayant émergé ces dernières années sont là pour rester. « Personnellement, je suis un peu méfiant devant un activisme qui ne laisse aucune place à l’ambiguïté ou qui n’offrirait pas la possibilité de multiples niveaux d’interprétation. Mais le théâtre sera toujours porteur de visions citoyennes, et, ces temps-ci, cette vision est également souvent infusée directement dans la méthode de fabrication des spectacles, laquelle fait ensuite naître des esthétiques et de nouveaux chemins poétiques. »

Un exemple ? Pas le choix de s’adapter aux impératifs de l’urgence climatique en modifiant les façons de penser les scénographies, de concevoir les tournées en réduisant les déplacements polluants, de revoir la consommation d’énergie. De ce mouvement naissent des préoccupations nouvelles chez les artistes, qui inventent un théâtre connecté à la nature et à la terre. « Se développe un nouvel imaginaire qui relie l’humain à l’ensemble du monde vivant », avance Tiago Rodrigues.

Le mouvement est manifeste cet été au festival. Dans Que ma joie demeure, d’après Jean Giono, la metteuse en scène Clara Hédouin utilise le principe d’une randonnée en forêt pendant six heures, de l’aube jusqu’à midi, « pour faire voyager le public dans la nature et à travers la littérature ». Dans Paysages partagés, une aventure dirigée par Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, sept artistes et collectifs sont invités « à pratiquer leur esthétique en mettant le paysage au centre de leur dramaturgie ». Le metteur en scène Philippe Quesne, lui, présente cette année une grande pièce dans la mythique Carrière de Boulbon, un lieu naturel spectaculaire à 30 minutes du centre d’Avignon, laissant le roc et la minéralité des lieux lui inspirer une « science-fiction écologique et rétrofuturiste ».

Tout de même épris de théâtre de texte, le nouveau directeur veut également consacrer une partie de chaque édition à une langue invitée. Cette année, il a choisi l’anglais, « une langue dominante, trop souvent considérée comme fonctionnelle, alors qu’elle est bien davantage que ça » !

Et le Québec ?

Dans le IN Avignon, la présence du Québec est depuis toujours très discrète. À l’exception des présences répétées de Denis Marleau dans les années 1990 et 2000, de la faste année 2009 où avaient été présentées notamment des pièces de Wajdi Mouawad, de Dave St-Pierre et de Christian Lapointe, il n’y eut ensuite que le metteur en scène Philippe Ducros et la performeuse Julie-Andrée T. pour se tailler une petite place. Cette année, revirement de situation : l’artiste anichinabée Émilie Monnet présentait en tout début de festival sa pièce Marguerite. Le feu.

Est-ce le signe d’une complicité de Tiago Rodrigues avec la scène québécoise ? Peut-on s’attendre de sa part à une attention plus soutenue envers nos artistes ? « Ce que je peux dire, c’est que je suis moi-même très attaché à Montréal et à Québec, où j’ai présenté ma pièce By Heart et noué des complicités. Il est clair que le Festival d’Avignon entretiendra des liens avec le festival TransAmériques (FTA) de Montréal, qui a un dynamisme exceptionnel qui nous inspire, et avec qui le dialogue est soutenu. L’invitation que nous avons faite à Émilie Monnet en est directement issue. »

Peut-être y aura-t-il enfin un peu plus de québécitude au Festival d’Avignon ! Une histoire à suivre.

Le Festival d’Avignon se poursuit jusqu’au 25 juillet.

Un peu de la Belle Province dans le Off Avignon

En parallèle du festival officiel, parmi les 1500 spectacles de l’indiscipliné festival Off Avignon, les noms québécois se taillent chaque année une petite place. Cet été, l’auteur-compositeur-interprète Thomas Hellman est ici avec son spectacle Mythomane, entre mythologie grecque, conte québécois et folk américain. La compagnie de cirque Le Gros Orteil est de retour au festival pour une deuxième fois avec son spectacle jeune public Le bibliothécaire. Le collectif québéco-suisse Nacéo joue deux pièces de Michel Marc Bouchard, Les Feluettes et Tom à la ferme. La compagnie franco-québécoise EXplo présente Fracture(s), une pièce de Chloé Chartrand, jeune autrice récemment diplômée de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM. On a aussi repéré des compagnies françaises s’attaquant à des textes du répertoire québécois, notamment de Suzanne Lebeau et… Michel Marc Bouchard à nouveau !

Émilie Monnet et sa Marguerite

La pièce Marguerite. Le feu, d’Émilie Monnet, était présentée cette année au Festival d’Avignon. Un moment important pour l’artiste multidisciplinaire anichinabée d’ici.

Le journal Le Monde n’a pas apposé son sceau critique. Joëlle Gayot soulignait, le 11 juillet, « l’énergie de quatre actrices plantées et puissantes », et terminait par une série de dures questions : « De quelle esthétique découle cette exécution menée au pas de charge en une heure ? Quel est son rapport avec l’art ? De quel théâtre s’agit-il ? Une forme nouvelle ? On en doute. De la poudre aux yeux ? Plus sûrement. On quitte la salle […] avec l’impression désagréable que le fond du projet, aussi louable soit-il, ne justifie en rien l’absence ou le ridicule de sa forme. Et que cette mise en scène est une caricature. »

Les Échos, par la plume de Callysta Croizer, a aimé davantage, estimant que « le travail d’Émilie Monnet reste un premier pas précieux pour les femmes et les hommes qui attendent justice dans l’antichambre de l’histoire collective ».

Catherine Lalonde



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