Faut-il permettre la publicité destinée aux enfants?

La publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans est pratiquement interdite depuis plus de 40 ans au Québec.
Rushay Booysen Getty Images La publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans est pratiquement interdite depuis plus de 40 ans au Québec.

La publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans est pratiquement interdite depuis plus de 40 ans au Québec. Cette loi, de loin la plus restrictive en Amérique du Nord, fait la fierté de plusieurs spécialistes, mais des acteurs de l’industrie de la télévision s’inscrivent aujourd’hui en faux en réclamant des assouplissements. Ils y voient une manière de revigorer la production jeunesse québécoise, qui a connu des jours meilleurs, elle qui ne représente plus grand intérêt financier aux yeux des diffuseurs.

« Tout le monde trouve ça triste, la disparition de Vrak.TV. Mais si on veut de nouveau offrir des productions jeunesse de qualité au Québec, il faut être prêt à faire certains compromis pour être capable de les financer. Évidemment, l’idée n’est pas de permettre à McDonald’s de faire une publicité conçue pour les enfants. Mais est-ce que ce serait si grave que ça, qu’une publicité de Renaud-Bray qui les incite à lire passe à la télé ? » demande Ève Tessier-Bouchard, qui a été directrice de la production originale pour Vrak.TV il y a une dizaine d’années.

Rappelons que Bell Média a annoncé la semaine dernière qu’elle mettrait fin le 1er octobre prochain aux activités de cette chaîne, qui a été la marque télévisuelle phare pour toute une génération d’ados et de préados au début des années 2000.

Vrak fait partie des deux chaînes appartenant à Bell — avec Z — qui ont été bloquées par Vidéotron dans la foulée du conflit qui oppose les deux câblo­distributeurs. Cette situation a certainement précipité l’annonce de la fermeture de la chaîne, mais le déclin était déjà manifeste à l’écran depuis plusieurs années. À l’heure actuelle, Vrak ne diffuse plus que des séries policières traduites et des compléments aux téléréalités. Pour Ève Tessier-Bouchard, la loi qui interdit la publicité destinée aux moins de 13 ans a indirectement joué un rôle dans cette descente aux enfers.

« On ne peut pas attribuer la fermeture de Vrak à l’interdiction de la publicité aux moins de 13 ans. La vente d’Astral à Bell n’a pas aidé, l’arrivée des plateformes non plus… Mais le déclin de Vrak a commencé quand [les dirigeants] ont décidé que le public cible n’était plus les ados, mais les jeunes adultes. Et si Vrak a fini par se tourner vers les jeunes adultes, c’est entre autres pour des raisons publicitaires », souligne-t-elle.

Ève Tessier-Bouchard dirige maintenant Les as de l’info, un magazine numérique lancé par les Coops de l’information destiné aux 8 à 12 ans. Et elle rencontre le même problème que chez Vrak. À cause du public cible, elle est dans l’incapacité de vendre de la publicité commerciale sur le site, ce qui complique grandement le financement.

« Protéger les enfants », un leurre

Du temps que la directrice était chez Vrak, la chaîne avait obtenu la permission de diffuser de la publicité. Mais conformément à la loi québécoise, les messages commerciaux ne devaient pas viser directement les moins de 13 ans. Conséquence : des annonces de produits ménagers jouaient en boucle dans la grille horaire, même si le groupe d’âge ciblé par la chaîne était les 9 à 14 ans. Si plusieurs chez Vrak avaient souhaité à l’époque que Québec modifie la loi, la question ne s’est jamais vraiment posée sérieusement durant l’âge d’or du « méchant canal ».

« Ce n’était pas une priorité. On faisait assez d’argent avec les abonnements au câble. Vrak.TV était hyper rentable dans ses belles années. Un dollar investi dans la production en rapportait le double. Tout ça a beaucoup changé aujourd’hui, avec les gens qui se désabonnent du câble. Il y a un besoin de trouver de nouvelles sources de revenus », explique Denis Dubois, l’homme qui a mené la transition de Canal Famille à Vrak.TV en 2001. Après avoir quitté la direction de la chaîne, en 2007, Denis Dubois a travaillé chez Télé-Québec, puis chez Québecor. Il était jusqu’en juin vice-président de Québecor Contenu.

Lui aussi croit que la loi qui interdit la publicité ciblant les moins de 13 ans doit être modifiée pour tenir compte de la conjoncture. Autrement, les deux grands diffuseurs privés que sont Québecor et Bell continueront de délaisser cette tranche d’âge. Pour Denis Dubois, le public jeunesse ne peut être l’apanage de Télé-Québec et de Radio-Canada.

« Je continuerais de protéger dans la loi les enfants d’âge préscolaire, qui ne sont pas en mesure de faire la différence entre la réalité et les personnages. Mais pour les autres, c’est un leurre de penser qu’on puisse les protéger de la publicité. Ils y sont déjà exposés dans les émissions pour adultes qu’ils écoutent, et sur YouTube, où ils consomment des contenus où il y a énormément de placements de produits », fait-il valoir.

Je continuerais de protéger dans la loi les enfants d’âge préscolaire, qui ne sont pas en mesure de faire la différence entre la réalité et les personnages.

Pas la bonne solution

L’interdiction de la publicité commerciale pour les moins de 13 ans a été intégrée à la Loi sur la protection du consommateur en 1978 par le gouvernement Lévesque. Déjà à l’époque, l’industrie de la télé s’opposait à cette disposition, qui demeure unique au Canada.

La législation québécoise prévoit notamment des peines sévères pour les entreprises qui adoptent une campagne marketing jugée trop attrayante pour les enfants. Elle limite aussi strictement les commandites d’événements destinés aux moins de 13 ans. Les publicités qui ont un objectif de prévention, celles des organismes gouvernementaux, par exemple, sont permises sous certaines conditions.

Professeure en psychoéducation à l’Université de Montréal, Linda S. Pagani s’inquiète maintenant que certains veulent rouvrir le débat sur la publicité visant les enfants. « Les enfants sont très vulnérables à la publicité et c’est important de les protéger. La publicité alimente l’impression du jeune qu’il n’est pas heureux parce qu’il ne possède pas certaines choses. Ça joue aussi sur la relation avec les parents, car ça pousse l’enfant à toujours demander », souligne Mme Pagani, qui a étudié les effets de la télévision sur les enfants.

Même son de cloche du côté d’Option consommateurs, une organisation sans but lucratif qui défend les droits des consommateurs. « Je suis sensible à la situation de l’industrie québécoise de la télé, qui doit conjuguer avec une baisse de revenus. Mais revoir la loi, ce n’est pas la bonne solution. Les enfants sont trop vulnérables. Si on a de la difficulté à produire des émissions jeunesse, c’est au gouvernement de s’assurer de dégager le financement adéquat », soutient Me Alexandre Plourde, avocat et analyste pour Option consommateurs.

À cet effet, le ministère de la Culture dit miser sur Télé-Québec. Le gouvernement Legault rappelle avoir récemment octroyé 101,1 millions de dollars sur cinq ans à la chaîne publique, notamment pour qu’elle bonifie sa production jeunesse. 

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