Louer pour pédaler

Beaucoup de compagnies européennes proposent des forfaits mensuels, un peu comme on peut ici louer plutôt qu’acheter une voiture.
Photo: Olivier Chassignole Agence France-Presse Beaucoup de compagnies européennes proposent des forfaits mensuels, un peu comme on peut ici louer plutôt qu’acheter une voiture.

Qu’on s’en serve pour les déplacements, la détente ou le sport, qu’il soit propulsé par un moteur électrique ou par nos bons vieux quadriceps — ou les deux —, le vélo fait de plus en plus d’adeptes et occupe de plus en plus de place sur nos routes, au grand plaisir des uns ou au déplaisir des autres. Aujourd’hui, dans notre série Sur deux roues : le vélo de location.

En course automobile, on parlerait d’un virage en épingle. Le Lyonnais Emmanuel Michel s’est assidûment mis au vélo à assistance électrique (VAE) après avoir perdu son emploi dans le secteur automobile à la fin de l’année 2018. Il a d’abord opté pour une bicyclette électrique louée par le service Vélo’v de la Métropole de Lyon, équivalent montréalais du Bixi. L’offre MyVélo’v est de 60 euros par mois, ou de 50 euros mensuellement avec un engagement d’un an, soit moins de 75 $, l’option choisie par M. Michel.

« En fait, j’en ai profité pendant 13 mois en ajoutant un premier mois d’essai payant », explique le sympathique cycliste en entrevue téléphonique. Il ajoute avoir parcouru plus de 3200 kilomètres, beau temps, mauvais temps, pendant quatre saisons, surtout vers la fin du contrat, après avoir trouvé un nouvel emploi à environ 15 kilomètres de sa résidence.

Il a donc dépensé 600 euros pour jouir pendant une année d’un engin qui peut se vendre au moins quatre fois plus cher, et sans souci pour le vol ou les réparations. « Le test a été très concluant », résume M. Michel, qui a ensuite acheté son propre VAE.

Les salariés de l’État français bénéficient en plus du « forfait mobilités durables » (FMD). Ce dispositif de soutien totalise 100 euros (150 $) pour une période de 30 à 60 jours par année de mobilité active sur deux roues et 300 euros (450 $) pour au moins 100 jours dans l’année. Dans tous les cas de figure, l’employé permanent ou contractuel, des secteurs privé ou public, peut demander le remboursement de 50 % de son abonnement aux transports en commun.

Emmanuel Michel a tellement aimé sa conversion au deux-roues qu’il a créé le site Tout pour mon vélo. « J’étais 100 % bagnole jusqu’à il n’y a pas longtemps. Je vendais des voitures et j’étais dans un environnement 100 % automobile. Je prenais ma voiture pour faire 500 mètres, comme beaucoup de monde. J’ai découvert le vélo. J’ai voulu partager sur ce sujet, en étant orienté vers le vélo pratique, utilitaire, fonctionnel, et pas du tout vers le vélo Tour de France, quoi. »

Le site Tout pour mon vélo a évidemment traité de la location à long terme. « Ce service correspond au mode de consommation actuel dans lequel le but n’est plus de posséder, mais bien d’utiliser le vélo en fonction de ses besoins », résume le texte.

Le Netflix du vélo

Beaucoup de compagnies européennes proposent des forfaits mensuels, un peu comme on peut ici louer plutôt qu’acheter une voiture. Une des plus connues s’appelle Swapfiets, soit littéralement, dans un mélange anglais-néerlandais : échange vélos. L’entreprise, fondée aux Pays-Bas par trois étudiants de l’Université technologique de Delft en 2014, s’active maintenant dans une dizaine de pays d’Europe.

En octobre 2022, le « Netflix du vélo » se prévalait déjà de 280 000 abonnés. Ses bécanes louées se reconnaissent à un pneu avant bleu. Swapfiets a refusé la demande d’entrevue du Devoir.

Même l’équipementier français Décathlon s’en mêle. Les forfaits disponibles là ou ailleurs demandent moins de 20 euros par mois pour un modèle de base. Les VAE sont généralement offerts à moins de 100 $ par mois, en gros le prix d’une carte de transport en commun pour adultes à Montréal.

Magali Bebronne, directrice des programmes de Vélo Québec, milite pour le développement du service ici aussi. « La location enlève tous les soucis au cycliste, explique la connaisseuse. On ne se préoccupe ni de l’entretien ni du vol. Ce système répond à un besoin de simplification et d’accès. Tout le monde n’est pas prêt à investir des centaines de dollars pour acheter un vélo de bonne qualité. Le vélo loué élimine aussi le problème de la non-disponibilité des Bixi en station, une situation courante, surtout aux heures de pointe. »

Ce service de location à court terme attire d’ailleurs de plus en plus d’usagers, qui l’utilisent de plus en plus. L’offre sera bientôt étendue en hiver, et le modèle ultrarobuste et fiable a été adopté ailleurs dans le monde. New York roule en Bixi. Londres et Melbourne aussi. Mexico vient de s’y mettre.

« Bixi a été un catalyseur du vélo, y compris pour le développement d’infrastructures, ajoute Mme Bebronne. Le défi sera maintenant de l’étendre dans d’autres quartiers et d’autres villes. Quand vous êtes sur le Plateau ou dans Rosemont, vous pouvez prendre le métro, le bus, Communauto et Bixi. Quand vous êtes à Montréal-Nord ou dans d’autres quartiers, vous avez le bus, et c’est pas mal tout. On comprend donc que les populations de ces secteurs utilisent l’auto puisqu’il n’y a pas d’alternative. »

Le vélo de fonction

Vérification faite, Bixi n’envisage pas la location à long terme de bicyclettes, électriques ou pas. En Europe, des dizaines de compagnies s’activent déjà dans ce créneau en expansion, stimulées par des soutiens et des incitatifs gouvernementaux. En plus de subventionner le transport actif vers le travail, le programme national français complet engagé en 2020 prévoit six autres mesures, dont les aides à l’achat de bicyclettes par les citoyens et les entreprises ainsi que le développement de stationnements sécurisés et d’ateliers d’autoréparation.

Emmanuel Michel explique que des employeurs français attirent maintenant des recrues avec un vélo de fonction en lieu et place d’une voiture de fonction restant stationnée la très grande majorité du temps. Le vélo payé par l’entreprise peut se combiner avec d’autres solutions de transport, par exemple pour inclure des locations d’automobiles certains week-ends. La start-up Zenride, créée en 2018 pour accompagner le développement de solutions actives et durables, comptait déjà en 2022 300 entreprises clientes (deux fois plus qu’en 2021) et 600 magasins partenaires offrant 3000 petites reines en location.

« Vélo Québec pousse auprès des gouvernements en leur demandant pourquoi on offre des subventions pour l’achat de voitures électriques alors qu’on n’en offre toujours pas pour le vélo, à assistance électrique ou pas d’ailleurs, dit Mme Bebronne. On se heurte à cette croyance que ce n’est pas du transport, que c’est du loisir, alors que ce n’est pas du tout ça : le vélo électrique étend les trajets et ouvre ce mode de déplacement à bien plus d’usagers, qui peuvent délaisser la voiture bien plus facilement. »

Cette fois, les exemples viennent de plus près. La Californie lancera cet automne un projet pilote de 10 millions $US pour soutenir l’achat de VAE. La Colombie-Britannique, la province la plus avant-gardiste du Canada de ce point de vue, a développé plusieurs programmes de soutien, dont un offrant jusqu’à 1400 $ à l’achat d’un vélo électrique. D’autres permettent le financement à faible taux d’intérêt de l’achat d’un vélo, électrique ou pas.

L’UdeM prête des vélos

L’Université de Montréal a développé un service de location de vélos à long terme baptisé UniverCyclo. L’initiative, lancée en 2015 par des étudiants et reprise deux ans plus tard par l’Unité du développement durable de l’UdeM, vise à récupérer et à restaurer des bécanes abandonnées sur le campus de la montagne pour ensuite les offrir à des étudiants étrangers. Le parc locatif compte une quinzaine de bicyclettes. Le coût minime d’emprunt (de 10 $ à 15 $ par mois) comprend un casque, un cadenas, l’entretien et même une initiation à la conduite montréalaise de mauvaise réputation.

Vélo cargo, go, go

La directrice des programmes de Vélo Québec, Magali Bebronne, raconte qu’à Leipzig, en Allemagne, où elle participait en mai à la conférence internationale Velo City, elle a téléchargé l’application de la compagnie NextBike (la plus grande d’Allemagne, offrant un libre-service sans ancrage) et loué un vélo cargo devant la gare pour transporter ses valises jusqu’à son logement. Elle a vu une option semblable à Berlin, cette fois avec une borne d’attache fixe. La tarification est on ne peut plus raisonnable : 4,50 euros (6,50 $) pour 90 minutes. Le marché de la location temporaire de ces engins permet le transport des enfants, des marchandises ou des toutous. Le mot d’ordre de la compagnie Cargoroo des Pays-Bas : « No car, no problem. »

« Oui, parfois ça prend une auto, dit Mme Bebronne. Mais pas tout le temps, et même pas souvent. Avant d’investir 6000 $ ou 8000 $ dans un vélo cargo, on peut penser au système partagé, qui offre une belle alternative. »

La directrice souhaiterait que des commerçants proposent des vélos de transport à leur clientèle et que Bixi s’y mette aussi. Si ce n’est pas sûr, c’est quand même possible. « Une équipe de recherche et développement étudie la possibilité d’introduire de nouveaux produits, tels que le vélo cargo, explique au Devoir le service des communications de Bixi. Le tout est encore à l’étude et aucune date de sortie n’est prévue pour le moment. » Le groupe Locomotion propose par contre déjà différents types de véhicules (autos, vélos cargos, remorques…) en location entre voisins dans différents quartiers montréalais.



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