Éloge de la lenteur

Photo : Marie-France Coallier Le Devoir - Montage : Marin Blanc

Je tiens tout de même à préciser que cet éloge de la lenteur fut écrit alors que ce matin-là, je comprenais que je mangeais mes rôties tout en arpentant mon appartement du salon et à la cuisine avec la ferveur d’une marathonienne. C’est d’ailleurs pour cette raison que cette chronique existe. Parce que je cours partout et que j’ai besoin de temps pour moi, besoin de me poser quelque part. Je constate qu’il n’y a que dans les mots où c’est possible de donner à mon corps un certain répit.

Il y a cinq ans j’ai commencé à m’intéresser à la photographie. Quelqu’un m’avait recommandé le livre de l’essayiste, romancière et philosophe Susan Sontag On Photography (Sur la photographie. Oeuvres complètes I, Susan Sontag, traduit de l’anglais [États-Unis] par Philippe Blanchard, Christian Bourgois éditeur, 2008). Quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver à dévorer ce bouquin réunissant ses essais sur le sujet en seulement quelques après-midis de parc. C’est surtout quand je suis tombée sur cette pensée que j’ai compris que je devais poursuivre mon rêve de faire de la photo. « Prendre une photo, c’est s’associer à la condition mortelle, vulnérable, instable d’un autre être (ou d’une autre chose). C’est précisément en découpant cet instant et en le fixant que toutes les photographies témoignent de l’oeuvre de dissolution incessante du temps. » S’en est suivie une envie de parcourir le monde, pas seulement physiquement, mais aussi intérieurement. D’entreprendre d’une manière exaltée la recherche de ce que Susan Sontag avance.

Bien que j’aie posé pour des photographes au fil des années, il subsistait toujours en moi cette curiosité de voir de l’autre côté du miroir. Je pense d’ailleurs en souriant au mot « trans » comme préfixe, signifiant « au-delà », exprimant l’idée de changement, de traversée.

Me voilà donc, cinq ans plus tard, depuis ce rêve que je nourris de posséder une caméra argentique. La voilà, entre mes mains, cette relique d’une autre époque. Avant, je me contentais de mon cellulaire pour prendre des photos, mais j’ai réalisé que je perdais la magie de l’instant à bombarder les choses sans prendre le temps de bien en saisir leur essence. Grâce au nombre de poses limitées sur un film, j’apprends maintenant à être plus patiente, à vivre le moment. Il y a de la poésie dans la gymnastique de la photographie. Manipuler avec soin l’appareil, le calibrer le plus adéquatement possible afin de faire entrer la lumière selon le contexte du poème à écrire. Il m’est plus difficile de faire des égoportraits et je pense de toute façon que pour me connaître, pour ressentir ce que je vis, je peux aussi observer la façon dont j’ai capturé certains paysages.

Être dans le présent, comme dans « instant », mais aussi comme dans « cadeau ». Cette caméra me rappelle que le temps s’offre et se déguste par lampées. Malgré les milliers de photos dans mon cellulaire, seulement quelques-unes finissent par être évocatrices. Avec la caméra, c’est différent ; le poids de l’excitation se situe simultanément dans mon coeur et dans mes mains. Il y a en moi une fébrilité de ne pas avoir accès aux photos prises sur-le-champ. Une belle leçon que voilà, accepter que, parfois, l’on ne puisse pas tout contrôler ni tout à fait saisir le moment comme nous l’avions ressenti, ce qui rend, selon moi, la prise de photo beaucoup plus précieuse.

La photographie comme écriture de l’instant, la photo comme poème en constante mutation au gré de notre vision du monde.

J’avais envie de faire un éloge de la lenteur aujourd’hui, parce que malgré tous les chevaux galopant en moi, il reste qu’une journée n’est composée que de vingt-quatre heures. Que l’on coure ou que l’on marche dans cette journée, la beauté de la chose, c’est bien que l’on y arrive tous en même temps. Maintenant, j’ai un outil inestimable à ma disposition qui me rappelle de prendre le temps de prendre le temps, une photo à la fois.

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