Sorties éducatives: l’étendue de la gratuité scolaire

C’était écrit dans le ciel : les nouvelles règles entourant les sorties scolaires, dont les frais, pour la plupart d’entre elles, ne doivent plus être assumés par les parents, causent des dommages collatéraux, notamment l’annulation de plusieurs pièces de théâtre jeunesse, faute de réservations faites par les écoles.

Le Devoir nous apprenait, mardi, que les onze diffuseurs du Réseau Scènes ne peuvent tabler que sur un nombre de billets réservés par les écoles équivalant au quart du total des réservations à pareille date l’an dernier. Selon un sondage auprès de ses membres, seulement les deux tiers des 300 représentations tenues en moyenne par année sont garanties pour la saison 2018-2019.

En juin dernier, le ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Sébastien Proulx, a rendu publique une directive encadrant les frais pouvant être imposés aux parents par les écoles et les commissions scolaires. Ainsi, les sorties et les activités culturelles ou scientifiques qui s’inscrivent dans le régime pédagogique — les sorties au théâtre ou au musée, par exemple — sont désormais gratuites tandis que les activités parascolaires de loisir — une visite dans un centre de ski ou à la cabane à sucre — peuvent continuer à être facturées aux parents.

Cette directive était rendue nécessaire à la suite de l’entente à l’amiable intervenue entre 68 commissions scolaires et des parents d’élèves qui avaient intenté une action collective afin de contester les frais qu’on leur avait réclamés au fil des ans pour l’achat de fournitures scolaires ou les sorties éducatives. La Loi sur l’instruction publique indique que les élèves ont droit à la « gratuité des manuels scolaires et du matériel didactique requis pour l’enseignement des programmes ». Un billet pour assister à une pièce de théâtre dont on discutera ensuite en classe fait partie de ce matériel didactique.

Comme Sébastien Proulx réagissait aux conclusions de l’action collective contre les commissions scolaires, le moment n’était pas le mieux choisi pour annoncer des changements qui chamboulent la planification de l’année scolaire en septembre.

Au moment de son annonce, le ministre n’avait pas indiqué quelles sommes il mettrait à la disposition des commissions scolaires pour payer les sorties dont le coût était auparavant refilé aux parents. À la mi-juin, les diffuseurs de spectacles avaient déjà constaté une chute marquée des réservations faites par les commissions scolaires.

Début juillet, le ministère dévoilait des règles budgétaires modifiées qui octroient aux commissions scolaires, sous le vocable École inspirante, une somme de 27 millions pour financer les sorties éducatives, qu’elles soient culturelles, scientifiques ou sportives. Lundi, dans le cadre de la nouvelle politique culturelle du Québec, les ministères de l’Éducation et de la Culture ont annoncé l’ajout de 9,5 millions à cette somme dans le but « d’améliorer l’offre de sorties et d’activités culturelles dans le parcours éducatif ».

Au gouvernement, on soutient que ces sommes permettront d’offrir gratuitement autant, sinon davantage, de sorties éducatives aux élèves. Maintenant que les commissions scolaires savent à quoi s’en tenir, on s’attend à ce que les écoles organisent des sorties, et ce, dès l’automne. Or s’il est relativement simple pour un musée d’accueillir des groupes d’élèves, il en est malheureusement autrement des compagnies théâtrales, qui doivent compter sur des réservations avant de monter une pièce. Osons espérer que la saison actuelle sera sauvée.

Ces sorties éducatives ne sont ni un luxe ni une distraction. Elles s’inscrivent dans une mission dont on ne peut dire qu’elle n’est pas négligée, si on se fie, par exemple, à la minceur de l’inventaire de bien des bibliothèques scolaires. L’école doit s’ouvrir à la culture. Davantage qu’à l’heure actuelle. C’est une question d’égalité des chances, puisque l’accès à la culture, y compris à la culture scientifique, dépend largement du milieu social.

L’école doit former des êtres pétris de connaissances, mais aussi de culture. On est loin du compte, malheureusement.

En ce sens, il est clair que c’est à l’État de payer pour ces sorties éducatives ; la pratique qui s’était imposée auparavant était une anomalie. De même, les parents n’ont plus à payer les frais d’inscription aux écoles à projet particulier. Mais qu’en est-il des voyages requis des élèves inscrits dans des écoles internationales ou encore des tablettes et portables exigés dans certains programmes ? Cette affaire soulève l’enjeu de l’étendue de la gratuité scolaire. Le prochain gouvernement ne pourra pas faire l’économie d’une vaste réflexion à ce sujet.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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