Des chauffeurs de la STM au bout du rouleau

Les chauffeurs de bus et les opérateurs de métro de la Société de transport de Montréal (STM) sont au bout du rouleau, déplore le syndicat qui les représente. Des données obtenues par Le Devoir montrent que ceux-ci sont de plus en plus nombreux à s’absenter du travail, voire à quitter leur emploi.

« Les chauffeurs de bus, ils sont tannés. Autrement, ils ne seraient pas en arrêt de travail de plus en plus. On le sent partout où on se promène dans le réseau », confie Frédéric Therrien, qui est président du Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes à la STM.

Entre 2018 et 2022, le taux d’absentéisme des chauffeurs de bus et des opérateurs de métro a augmenté respectivement de 43 % et de 52 %, indiquent des données obtenues par la Loi sur l’accès à l’information. Ces employés se retrouvent ainsi nettement plus nombreux à s’absenter du travail que la moyenne des quelque 10 500 travailleurs de la STM, a constaté Le Devoir.

Les données fournies par la STM montrent d’ailleurs qu’environ le tiers des absences pour invalidité rapportées par les employés de l’organisation, tous postes confondus, sont liées à la « santé mentale », ce qui ne surprend pas Frédéric Therrien.

« On ne se le cachera pas : les conditions de travail des chauffeurs, année après année, sont de plus en plus dures », lance le leader syndical. Ce dernier constate notamment que les chauffeurs de bus vivent de plus en plus de « stress sur la route », peinant à se faufiler parmi les chantiers, les automobilistes et les cyclistes pour respecter des horaires serrés sur différentes lignes empruntées au quotidien par des milliers de Montréalais.

« Aujourd’hui, nos journées sont compressées, donc on a moins de temps pour respirer », relève Frédéric Therrien, qui souhaiterait que les chauffeurs d’autobus disposent de plus de temps pour réaliser leurs parcours quotidiens.

Plus d’actes violents

Car, actuellement, plusieurs chauffeurs se font invectiver par des clients parce qu’ils arrivent en retard à des arrêts, par rapport aux horaires déterminés par la STM, ont confié deux chauffeurs de bus en entrevue au Devoir. « À la fin d’une journée de travail, on est brûlés mentalement », confie l’un d’entre eux. Ce dernier a demandé l’anonymat, car il n’est pas autorisé par son employeur à parler aux médias. « La clientèle est devenue intolérante, agressive », ajoute un autre chauffeur, qui constate que ce problème a pris de l’ampleur depuis le début de la pandémie.

Les « actes violents » dont sont victimes ou témoins les employés de la STM sont d’ailleurs en augmentation, confirme la société de transport. Ceux-ci ont été la cause de 35 % des absences au travail reliées à des « accidents » entre juin 2022 et mai 2023, en hausse de 4,6 % par rapport à la même période l’année précédente.

« On est préoccupés, mais on tient à rassurer [la population] : notre réseau demeure sécuritaire », dit au Devoir la directrice générale de la STM, Marie-Claude Léonard. D’ailleurs, afin de soutenir ses employés, l’organisation dispose d’un programme leur offrant l’accès à des ressources en « santé psychologique », indique la gestionnaire.

Les démissions augmentent

 

Entre 2018 et 2022, la STM a embauché en moyenne 228 chauffeurs par année. Or, ce nombre a chuté considérablement en 2021 et en 2022, années pendant lesquelles seulement 42 et 93 chauffeurs ont intégré les rangs de la société de transport.

Pendant ce temps, le nombre de démissions a connu une hausse constante parmi les chauffeurs de bus et les opérateurs de métro, passant de 39 en 2020 à 44 l’année suivante, puis à 80 l’an dernier. Une situation qui a contribué à creuser l’écart entre les embauches et les départs pour ces deux catégories d’emplois au cours des deux dernières années, selon les données de la STM.

« Si j’avais cinq ans d’ancienneté, je serais déjà parti ailleurs pour trouver un autre job », lance un chauffeur de bus joint par Le Devoir, qui s’accroche à son poste simplement parce que sa retraite approche, après plus de vingt ans de service.

D’ailleurs, en date de jeudi, la STM était toujours à la recherche de 85 chauffeurs de bus pour compléter ses effectifs, un nombre qui est toutefois en diminution en raison du recrutement actif que réalise la société de transport. « On espère avoir les chauffeurs qu’il faut pour équilibrer l’offre de service et, si jamais on devait effectuer des réductions sur un voyage, deux voyages, on va s’assurer que ce soit clair pour les clients », a affirmé Marie-Claude Léonard, laissant ainsi entendre que ce manque de chauffeurs pourrait nuire à la qualité du service sur certaines lignes de bus.

Entre-temps, pour pallier le manque de chauffeurs dans son réseau, la STM mise sur le recours aux heures supplémentaires, qui est exercé de façon volontaire par les employés. C’est en étirant ainsi leur horaire que 609 chauffeurs de bus, opérateurs de métro et agents de station ont empoché l’an dernier plus de 100 000 $, contre 345 employés dans ces trois catégories l’année précédente.

Or, « quand j’ai du temps supplémentaire, ça coûte moins cher » que d’embaucher plus de chauffeurs, relève Mme Léonard.

Pas assez de constables spéciaux

Le Devoir a d’autre part appris que 44 postes de constables spéciaux sont actuellement vacants à la STM. Ce sont ainsi 141 employés qui sont sur le terrain sur la cible de 185 de l’organisme. « Ce n’est pas suffisant pour couvrir tout le territoire de la STM, en tenant compte des stations de métro à Laval et à Longueuil », déplore Yassine Sabir, qui est vice-président à la santé et à la sécurité au travail pour la Fraternité des constables et agents de la paix de la STM.

Ce manque de constables spéciaux s’explique notamment par le fait que ceux-ci partent de plus en plus pour le Service de police de la Ville de Montréal et la Sûreté du Québec, « qui ont commencé beaucoup à nous embaucher » pour répondre à leurs besoins de main-d’oeuvre, constate M. Sabir. « Il faut trouver d’autres moyens de retenir les gens ici », martèle le représentant syndical, qui rappelle que les constables spéciaux sont responsables d’assurer la sécurité et le respect des droits de paiement dans le réseau du métro.

Le taux d’absentéisme des constables spéciaux a d’autre part grimpé en flèche depuis 2019, une situation que M. Sabir associe à la présence de « personnes agressives » qui s’en prennent parfois aux membres de son syndicat. « Il y a plus de comportements imprévisibles, quelques cas de blessures plus importantes, ce qui fait qu’on perd des inspecteurs de plus en plus, » confirme Marie-Claude Léonard.

193 heures d’arrêts de service

Après avoir diminué en 2020 en raison de la pandémie, qui a fait chuter l’achalandage du transport en commun, le nombre d’arrêts de service dans le réseau du métro montréalais est reparti à la hausse au cours des deux dernières années. On en arrive ainsi à une moyenne de 193 heures d’arrêts de service par année, entre 2018 et 2022, a constaté Le Devoir en analysant des données fournies par la Société de transport de Montréal (STM) à la suite d’une demande d’accès à l’information.

« On vise toujours d’avoir le moins d’arrêts de service possible », indique la directrice générale de la STM, Marie-Claude Léonard, qui précise qu’une part importante de ces arrêts, qui sont encore en hausse cette année, sont causés par la clientèle.

Pour améliorer la ponctualité du métro, la STM prévoit depuis plusieurs années d’installer des portes palières dans certaines stations, ce qui empêcherait des individus de se rendre sans autorisation sur les rails ou encore des objets d’y tomber. Or, pour des raisons financières, ce projet a été suspendu pour une durée indéterminée en 2022.

« Ça demeure ce qu’on souhaite pouvoir faire, mais il faut tenir compte de nos priorités dans notre environnement financier », a expliqué Marie-Claude Léonard.

Le Devoir


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