Le passé, un métier d’avenir

François David, archiviste, dans les bureaux des Archives nationales
Marie-France Coallier LE DEVOIR François David, archiviste, dans les bureaux des Archives nationales

Ils passent inaperçus, ou presque. Ils sont pourtant des acteurs essentiels du milieu culturel. Le Devoir propose une série de portraits de métiers de l’ombre, à travers les confidences de professionnels qui les pratiquent ou les ont déjà pratiqués. Aujourd’hui : les archivistes.

À la suite d’une année passée à enseigner, François David décide de changer de cap et de devenir archiviste. « Après des études en histoire, j’avais étudié pour devenir professeur. J’étais fasciné par les savoirs et leur transmission, mais les classes étaient trop bruyantes et dérangeantes pour moi. Ce n’était pas pour moi, l’enseignement. Je cherchais un autre lieu, plus calme, où je pourrais transmettre quelque chose. J’aimais les sources premières, les documents. Il me semblait qu’il y avait beaucoup à faire de ce côté. » Depuis des années, François David est archiviste et adjoint de la conservatrice à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).

Une formation en histoire en poche, il part ensuite étudier l’archivistique. « J’ai vite compris que le travail d’archiviste n’était pas aussi solitaire que je le pensais et que les gens, en général, l’imaginent ! Beaucoup pensent que nous sommes seuls, la tête dans des boîtes, au troisième sous-sol, dans l’obscurité… Ce n’est pas du tout le bon portrait ! Il y a une part importante de travail d’équipe. » Cela implique des rapports continuels avec d’autres archivistes, mais aussi avec des spécialistes de toutes sortes, des avocats, des informaticiens, des bibliothécaires, selon les difficultés que pose un ensemble particulier.

Les archives, ce fut longtemps un monde d’hommes. « Ce n’est plus le cas. Depuis longtemps. » En aparté, une de ses collègues fait même remarquer qu’en bien des endroits les femmes se trouvent, en fait, en majorité.

François David va d’abord travailler deux ans en Afrique. Puis, de retour à Montréal, il est engagé par un centre d’archives privé qui rassemble notamment toutes les archives de l’historien en soutane Lionel Groulx ainsi que de certaines grandes figures du nationalisme du XXe siècle. Tout cela finira par être intégré dans les kilomètres de papiers gérés par BAnQ.

Connaître le métier

« Chez un archiviste, il y a bien sûr la connaissance des bases de données qui est importante. Il faut connaître les outils de recherche propres à chaque lieu. » Mais il y a aussi l’acquisition de documents, puis la transmission des connaissances, au contact des sources. « Souvent, nous sommes les premiers à voir plein de choses, à savoir à quel point ceci ou cela est important. »

Les temps ont changé. « Chez les vieux archivistes, c’était bien différent par rapport à maintenant. Le public se heurtait à des chasses gardées dont les archivistes avaient les clés. Parce que les archivistes, autrefois, portaient plusieurs chapeaux. Ils étaient auteurs, historiens, généalogistes… Quel chapeau portaient-ils lorsqu’on leur demandait un document ? Certains gardaient des informations pour eux, dans une sorte de boys’ club où les retours d’ascenseur étaient fréquents. »

François David donne comme exemple Pierre-Georges Roy (1870-1953), l’ancien « archiviste en chef du gouvernement de la province de Québec ». « Il offrait des documents à certains amis. Il y avait du favoritisme. On le voit dans la correspondance de Lionel Groulx. En échange de documents ou de services, Groulx écrivait des critiques favorables aux textes produits par Roy. C’est comme ça que ça marchait… Plus maintenant ! »

Aux Archives nationales, il se dit comblé d’avoir eu à discuter avec toutes sortes d’acteurs de l’histoire au moment d’acquérir leurs fonds d’archives. « J’ai été privilégié de discuter avec Jacques Parizeau du contenu de ses archives. Les gens disaient de lui, sans le connaître, qu’il était un bourgeois froid. Au contraire ! J’ai fait la rencontre de quelqu’un de simple et d’accessible, qui s’intéressait de près à ce que nous faisions. Au-delà de ses pensées ou de ses positions, M. Parizeau était un homme extrêmement intéressant. Et il n’était pas compliqué. La question de ses archives a été réglée en une demi-heure. Il voulait connaître les grands principes, tout simplement. Il connaissait sa place dans l’histoire. Il savait que ses documents devaient être préservés. » Ce fut la même chose avec Lucien Bouchard, se souvient-il. De l’ancien ministre Claude Castonguay, il garde aussi le souvenir d’« un homme d’une grande stature, sensible à l’importance du service public ».

Les archives sont-elles seulement le réservoir de la mémoire de grandes figures pareilles ? « Non ! Absolument pas. Mais il est certain que les acquisitions sont très influencées par ce qui se passe autour de nous. Nous avons acquis par exemple le fonds d’archives d’une famille d’immigrants libanais. Les lettres que la femme écrivait à son mari sont tellement fortes ! Cela donne un autre regard sur le Québec. »

Se faire connaître

Hélas, beaucoup de documents échappent à la vigilance des archivistes. Tout bonnement parce que les gens s’imaginent que cela n’a pas d’importance pour comprendre la société qui les a portés. Tout est trop vite jeté. « Il est certain que beaucoup d’éducation doit être faite encore au sujet des archives, de leur importance. C’est aussi un peu le travail des archivistes. Les archives doivent se faire connaître. » Pour lui, le métier compte au nombre des services publics qu’il importe de défendre et de valoriser au mieux.

Pendant longtemps, les archives ont été beaucoup fréquentées par des généalogistes. « C’est moins le cas désormais. Les ressources sont en ligne pour ceux que ça intéresse. Ceux qui viennent veulent aller plus loin. Ils veulent percer des mystères, essayer de comprendre ce que faisaient leurs proches en tel lieu, à tel moment. » Les archives permettent aussi un retour sur soi d’une plus grande envergure. « Prenez le cas des orphelins de Duplessis. Après certaines procédures, il a été possible pour certains d’accéder à leurs dossiers, de découvrir, par exemple, que leur mère était leur tante. Parfois, comme archiviste, nous sommes témoins de cela. C’est plus que touchant. La même chose arrive maintenant avec la question des pensionnats et des Autochtones. Les archives sont importantes. »

Y a-t-il parfois des moments étranges ? « Oh ! Oui… Par exemple, un monsieur était venu pour trouver un document qui attestait de son divorce, à l’heure où il voulait se remarier. Il y avait eu plusieurs échanges officiels à ce sujet. Nous les avions. Mais les documents finaux n’avaient jamais été achevés. À l’heure de se remarier, il le découvrait ! Les archives servent aussi à ça. Les archives gouvernementales, c’est très important dans une société. »

Quel avenir ?

La profession d’archiviste est-elle appelée à disparaître à l’heure de la numérisation de tout et de rien ? « Au contraire ! La profession se transforme, mais elle va rester. Plus que jamais. » Pourquoi ? « Prenons par exemple le cas des photographies. Nous vivons à une époque où il y a un grand appétit pour les images. La puissance du numérique a démultiplié l’appétit pour les photographies. Les archives détiennent bien sûr des photographies en quantité. Et le public en demande plus que jamais. » Or, la question des droits et de la gestion du flux de ces documents suppose du personnel. « De nouveaux besoins se sont créés. La demande dépasse désormais de beaucoup notre capacité à y répondre. »

Le rôle

« Nous sommes les gardiens d’un patrimoine culturel. Il faut voir la quantité de films, de documentaires, de pièces de théâtre et de livres qui n’existeraient pas sans le recours aux archives. » François David a passé plus de trois décennies au milieu de documents anciens. Il prévoit de prendre sa retraite le printemps prochain. Pour lui, cependant, le passé demeure sans conteste « un métier d’avenir ».



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