Dans les coulisses d’un musée avec les restaurateurs

Richard Gagnier (à droite), le chef de la restauration du MBAM, observe la manutention d’un tableau de Basquiat.
Julien Cadena Le Devoir Richard Gagnier (à droite), le chef de la restauration du MBAM, observe la manutention d’un tableau de Basquiat.

Ils passent inaperçus, ou presque. Ils sont pourtant des acteurs essentiels du milieu culturel. Le Devoir propose une série de portraits de métiers de l’ombre, à travers les confidences de professionnels qui les pratiquent ou les ont déjà pratiqués. Aujourd’hui : les restaurateurs d’œuvres d’art.

L’exposition À plein volume : Basquiat et la musique terminée, les petites mains du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) s’activent à la démonter. Nous sommes fin février au moment du reportage, et l’exposition doit maintenant prendre la route de la Philharmonie de Paris, où elle sera présentée dès le mois d’avril. D’ici là, les œuvres de l’artiste new-yorkais doivent minutieusement être décrochées, emballées puis envoyées une par une dans des conditions rigoureuses.

Pendant cet après-midi hivernal, c’est au tour du tableau King Zulu, qui appartient au Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA), d’entrer dans la chaîne de ce travail de fourmi. « L’acheminement de ce tableau de Jean-Michel Basquiat est intéressant, car il n’a pas de cadre. Nous devons alors le déposer dans un “cabaret” de voyage après l’avoir mis dans une espèce de faux cadre qui va protéger ses bordures. Ensuite, nous allons l’entourer avec un coussinage adéquat pour l’absorption des chocs et des vibrations du transport », explique le chef de la restauration du MBAM, Richard Gagnier.

La conservation préventive

Pour l’occasion, un convoyeur du MACBA est présent sur place. « Il y a du camionnage et de l’avion jusqu’à Barcelone, donc quelqu’un est là pour témoigner de la manutention entre les différents types de transport et s’assurer que la caisse est bien manipulée, etc. », précise Richard Gagnier. Mais avant l’envoi, les deux hommes scrutent d’abord le Basquiat afin de fournir une documentation visuelle de la toile et d’établir un constat d’état. « Notre mission, en tant que restaurateurs, est de réaliser l’examen d’une œuvre prêtée à son arrivée et de contre-vérifier sa condition au moment du départ pour certifier qu’il n’y a eu aucun changement durant la période d’exposition », poursuit le chef de la restauration du MBAM. Sa profession joue ainsi un rôle essentiel au sein d’une institution muséale : posséder et classifier toutes les informations appropriées relatives à l’objet d’art dans l’objectif de prendre les mesures de conservation préventive nécessaires.

Le milieu de la restauration est très actif pour la recherche et le partage des connaissances. La compréhension du phénomène chimique de la dégradation des matériaux est primordiale. Nous devons aussi bien connaître les interactions entre tous les produits que nous utilisons.

 

Si l’approche curative — qui consiste à rétablir l’intégrité d’une œuvre en matière de stabilité de matériaux, comme les retouches et les nettoyages de surface — est souvent la facette la plus connue du métier, les tâches de conservation préventive occupent pourtant plus de la moitié du temps des restaurateurs. « Sur les 44 000 objets d’art que compte le MBAM, de 8 % à 10 % seulement sont présentés. Tous les autres sont en réserve, et il faut conserver un environnement le plus sûr possible pour que les œuvres ne continuent pas à se dégrader, même pendant les éventuelles périodes de transport », souligne Richard Gagnier.

Pour ce faire, il s’appuie notamment sur les évolutions scientifiques et technologiques, qui ont explosé depuis les années 1980. « Toute la question du savoir autour des matériaux qui sont utilisés dans la conservation préventive relève du domaine des techniciens et du service de restauration, qui ont développé ce savoir avec des ingénieurs », dit-il.

Pour sa part, Mélanie Cloutier, restauratrice et responsable de la conservation préventive au Musée national des beaux-arts du Québec, parle d’une petite communauté bouillonnante. « Le milieu de la restauration est très actif pour la recherche et le partage des connaissances », relève-t-elle. Avec ses collègues, elle travaille, entre autres, sur la dégradation des matériaux. « La compréhension du phénomène chimique de la dégradation des matériaux est primordiale. Nous devons aussi bien connaître les interactions entre tous les produits que nous utilisons. »

Partage de connaissances

Selon Caterina Florio, cheffe de la Restauration au Musée McCord Stewart, le récent développement des matériaux et des techniques scientifiques dans la conservation préventive des objets d’art est d’une aide précieuse. « Nous pouvons désormais mener des investigations très précises grâce aux nouvelles techniques d’analyse, qui ne sont pas invasives. Par exemple, il n’est plus nécessaire de prélever des échantillons », indique-t-elle. Pour la récente rétrospective consacrée au photographe Alexander Henderson, la campagne de recherche menée en amont grâce au colorimètre a permis d’établir les meilleures conditions de présentation de cette exposition au long cours.

« Nous travaillons en étroite collaboration avec les conservateurs du Musée, car leurs connaissances historiques et théoriques forment nos recherches sur la pratique de conservation. L’inverse est aussi vrai », fait remarquer la restauratrice du Musée McCord Stewart. Et sa collègue, Zoë Tousignant, conservatrice Photographie, de renchérir : « Les photographies sont des objets multidimensionnels, dont les composants ne s’altèrent pas à la même vitesse. Leur niveau de fragilité est élevé, même s’il s’agit d’œuvres contemporaines, car elles sont très sensibles à la lumière. » Certaines œuvres doivent-elles être gardées en réserve ou, au contraire, être montrées au public tout en sachant qu’il va inévitablement y avoir des dommages ? Caterina Florio répond à cette épineuse question en évoquant un échange constant de connaissances avec le milieu de la restauration. « C’est un espace de diplomatie, où il y a de nombreuses discussions. Nous souhaitons toujours limiter les risques. »

Mélanie Cloutier croit enfin au « moins, c’est mieux ». « C’est pour ça que, dans la conservation préventive, nous agissons plutôt sur la création d’un environnement idéal que sur l’objet d’art lui-même », conclut la restauratrice du MNBAQ, qui salue l’efficacité des techniques actuelles.

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