Quelqu’un devra bien prendre soin des migrants de la vague qui s’en vient

Tous les week-ends de l’été, l’équipe éditoriale du Devoir vous propose une réflexion sur les enjeux de société qui façonneront notre monde dans les prochaines années. Des défis individuels et collectifs nous interpelleront sans cesse sur ces questions, que nous aborderons selon l’angle des solutions dans la mesure du possible. Aujourd’hui : les vagues migratoires de demain.

IIs étaient cinq cents, désespérés de rejoindre un monde meilleur par quelque moyen que ce soit. Mais le bateau qui devait les y transporter a sombré le mois dernier dans la mer Méditerranée, comme de trop nombreux autres avant lui, les laissant tous présumés disparus, possiblement par la faute de la garde côtière grecque, qui ne voulait pas d’eux, est venu révéler le Guardian. De telles tragédies se multiplient. Le taux de migration mondiale est voué à s’accroître lui aussi. Au même moment, de plus en plus de pays, voyant arriver ce flux migratoire, resserrent leurs frontières. L’incohérence est intenable et elle le demeurera.

Les dernières années ont été celles de tous les records. Plus de 108 millions de déplacés dans le monde, ce qui correspond à la plus forte hausse annuelle jamais enregistrée, nous dit le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. La guerre en Ukraine y a contribué (de l’ordre du tiers des 19 millions de déplacés de plus qu’en 2021), mais pas que. Les catastrophes naturelles — celles-là mêmes qui ne feront que s’amplifier — ont été responsables de plus de la moitié des déplacements internes au sein des pays frappés.

Le monde a également été le théâtre d’un nombre exceptionnel de conflits (56 en 2020), du jamais vu depuis le début des années 1990. Il ne faut pas se leurrer, ces multiples causes de migration ne feront que se perpétuer.

À ces migrants qui fuient la guerre, la persécution ou les bouleversements de la crise climatique s’ajoutent ceux qui partent en quête de perspectives économiques. Tant que des pays en manque de main-d’oeuvre leur offriront des emplois dont leurs natifs ne veulent pas (en agriculture, en restauration, en soins de santé — on peut penser aux « anges gardiens » de la pandémie), ces migrants continueront de prendre la route. Qu’on tente de la leur barrer ou non.

En Europe comme en Amérique du Nord, la tendance est à la sécurisation de la migration, et ce, par la voie d’une militarisation des interventions, du recours à la détention, de la construction de clôtures sur terre ou en mer. Les budgets de sécurité ont explosé, sans que cela freine les arrivées. Au contraire, les migrants prennent simplement des routes plus dangereuses, comme en témoignent les tragiques naufrages à répétition en Méditerranée ou la mort effroyable de migrants en pleine forêt le long de la frontière canado-américaine. Ce qui « subventionne » au passage une industrie criminelle de trafic de personnes chiffrée à 13 milliards de dollars américains l’an dernier, selon la professeure et chercheuse de l’Université de Montréal Luna Vives Gonzales.

Les déplacements ne sont bien sûr pas tous internationaux. Bien des gens tentent de trouver une vie meilleure dans une ville de proximité. Ainsi, 76 % des déplacés se sont réinstallés dans des pays à faibles ou moyens revenus l’an dernier. Des États qui n’ont souvent pas les infrastructures ni les services nécessaires pour gérer cette explosion imprévue de leur population, ce qui vient exacerber les tensions. L’iniquité avec les pays riches, qui, eux, en auraient davantage les moyens, est frappante.

L’immigration toujours croissante puise toutefois elle aussi dans ces pays des ressources, des logements ou des services, éléments qui pourraient ainsi ne pas suffire à la demande, préviennent des projections démographiques.

Ce qui inquiète les gouvernements. Et la réticence de la population locale à l’accueil d’un nombre plus généreux de migrants vient conforter ces dirigeants. Ce repli sur soi se voit surtout à droite, voire à l’extrême droite, mais la gauche est elle aussi divisée, comme en témoignent les débats internes au sein du Parti démocrate américain. Le climat actuel n’est donc pas passager. La vague migratoire ne l’est cependant pas elle non plus.

L’année 2022 devrait servir autant d’avertissement que d’exemple aux pays de la planète. Aux records migratoires s’adjoint celui des enveloppes internationales d’aide au développement, qui ont également atteint des sommets (204 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale, une hausse de 14 %, et la quatrième d’affilée). Là encore, le soutien de nombreux pays à l’Ukraine est venu gonfler les chiffres.

La guerre dans ce pays aura montré que les pays riches sont en mesure d’adapter en temps de crise leurs seuils d’accueil et leurs budgets d’aide aux États moins nantis. Qu’est-ce qui les empêche de récidiver ? Car la solution, pour la suite, devra passer par l’un ou par l’autre.

Les migrants de demain ne se résigneront pas à rester, faute d’invitation à trouver refuge ailleurs, dans une zone de conflit ou sur une terre asséchée. Les pays de la planète (les plus riches, avant tout) devront les accueillir ou alors investir dans l’adaptation climatique, la gouvernance et la stabilité économique afin de les aider à demeurer chez eux ou non loin de leur région.

Le statu quo est impossible et nous mène droit vers un mur. Seule une migration ordonnée permettra à ces déplacés de trouver une vie meilleure en toute sécurité, mais aussi, et surtout, aux gouvernements qui les accueillent de mieux gérer leur intégration et leur arrivée.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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